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Procès à la guinéenne ! ( Tierno Monénembo)

Procès à la guinéenne ! ( Tierno Monénembo)
0 commentaires, 30 - 3 - 2025, by admin

Par Tierno Monenembo
Ce mercredi 26 mars, j’ai assisté pour la première fois de ma vie, à un procès guinéen (on m’avait refusé l’accès à la salle au premier procès de Foninke Mengue et alii) comme par hasard, à celui d’Aliou Bah, vous savez, le président du Model, notre détenu le plus célèbre du moment.
Maintenant, il y a des procès en Guinée, c’est une nouveauté, en ce qui concerne les procès politiques, tout au moins. Sékou Touré, lui, ne s’encombrait pas de ce genre de formalisme. Il expédiait ses détenus sans autre forme de procès, pour ainsi dire.
Il présentait les malheureux non devant une cour, mais devant un « comité révolutionnaire » présidé par son propre frère. Celui-ci les grillait à l’électricité pour leur extorquer les aveux les plus invraisemblables. Ces aveux étaient diffusés de nuit sur la radio et justice était faite.
Quarante ans plus tard, un groupuscule de nervis veut nous faire admettre que c’est ce criminel-là, le père de la nation. Père de la nation, père de la nation, père de la « Diète Noire », oui ! Que dire d’un plaignant qui n’ose même pas présenter ses accusés au tribunal ? C’est un plaignant qui ment. Chez les gens normaux, c’est le procès à la barre, chez Sékou Touré, c’est le procès à l’électricité. Pour ce dernier, les aveux extorqués sous la torture sont les plus convaincants des aveux.
Il reste que cette pratique cruelle et barbare a fini par faire jurisprudence. Avec ou sans Camp Boiro, la justice guinéenne reste la même, retorse et téléguidée. C’est vrai que les aveux ne sont plus radiodiffusés, c’est vrai que la fameuse « cabine technique », entendez la salle de torture, a été transférée off-shore, mais physique ou psychologique, la persécution est toujours là et le verdict est connu d’avance.
C’est dire qu’en passant la porte de la cour d’appel de Conakry, je m’attendais à ce que j’allais voir. La présidente de la cour était impressionnante (une forte présence, beaucoup de dignité dans la parole comme dans le geste), mais elle avait l’air contrainte et forcée, la pauvre comme si elle-même ne croyait pas au rôle qu’on lui faisait jouer.
Le parquet non plus n’était pas à l’aise. Il eut toutes les peines du monde à présenter ses moyens d’appel (rappelons qu’il avait, lui aussi,, comme la défense, interjeté appel). J’eus beaucoup de mal à l’entendre (la sono était particulièrement mauvaise) et à comprendre son raisonnement. Facilement, les avocats de la défense démontèrent ses arguments, et prouvèrent par a+b que ses accusations ne reposaient sur aucun fondement.
Ces as du barreau commencèrent par noter que leur client était poursuivi pour offense et diffamation au président de la République alors que jamais celui-ci ne s’est pas constitué partie civile et que d’autre part, il n’existe pas « d’offense au président de la République par le biais d’un moyen informatique » comme indiqué par l’acte d’accusation.
Seules les lois numéro 002 du 22 juin 2010, numéro 010 du 4 juin 2015 et l’article 659 du code pénal punissent l’offense envers le président de la République (qui dans n’existe même pas en ce moment puisque, nous vivons une période de transition). Or, ces lois sont contradictoires puisque dans une même loi deux articles sanctionnent la même infraction différemment. Dans ce cas, c’est donc la loi la moins sévère qui doit profiter à Aliou Bah c’est-à-dire, une simple sanction pécuniaire.
Concernant la diffamation envers le président de la République, ils se contentèrent de préciser que celle-ci est prévue par l’article 6 de la loi 105 du 4 juin 2010. Or, cet article se limite à définir la diffamation. Il ne prévoit aucune peine. Il y a un principe fondamental du droit qui dit : « il n’y a pas d’infraction sans un texte, il n’y a pas de peine, sans un texte ». Aliou Bah est donc condamné à deux ans de prison pour diffamation alors qu’aucun texte ne le prévoit. C’est bien cela, la justice à la guinéenne !
Trois heures de séance après, le procès est renvoyé au 9 avril, « pour permettre à la presse de couvrir les débats », selon la présidente, « pour recueillir les consignes du chef », selon les mauvaises langues.

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