Kouyaté: " quand on saura dire non, quand on saura résister aux difficultés, pour ne pas voir l' immédiat, la Guinée va s'en sortir"
Avant de s'envoler pour Abidjan, le leader du Parti de l'Espoir pour le Développement National ( PEDN ), Lansana Kouyaté, a accordé une interview exclusive à la radio " Lynx FM" et à votre journal en ligne, nouvelledeguinee.com.
Dans cet entretien à bâtons rompus, l'opposant le plus constant dans sa ligne politique s'est exprimé sur les sujets brûlants de l'actualité nationale. Il dit, sans langue de bois, ses vérités aussi bien à Alpha Condé qu'à l'opposition dirigée par le leader de l'Union des Forces Démocratiques de Guinée, Cellou Dalein Diallo. Bonne lecture.
Nouvelledeguinee: bonjour monsieur le président. Il y'a longtemps que vous n'êtes pas parti en Guinée. Quelle lecture faites-vous de la situation politique en Guinée?
Lansana Kouyaté: vous savez très bien que c'est une situation qui se densifie de jour en jour. Elle se complexifie de jour en jour. Une situation qui, au total, n'est pas du tout reluisante. Au contraire, c'est une situation politique dégradée.
Nouvelledeguinee.com: l'opposition républicaine, pilotée par l'UFDG, vient d'organiser une série de meetings à Conakry. Elle prévoit une série de marches pacifiques. Votre réaction?
Lansana Kouyaté: c'est tant mieux. Je ne suis pas là pour commenter le projet des différentes oppositions. C'est tout à fait normal. Mais, voyez vous? Ils ont donné raison à ce que le PEDN avait dit depuis longtemps. On avait dit de ne pas arrêter ces marches. On l'a dit et on a insisté. Surtout qu'on avait commencé avec des pertes humaines, avec des dégâts matériels, avec beaucoup de difficultés, d'endurance. Chaque membre de l'opposition a pris son lot d'endurance et de difficultés. Ce n'était pas le moment où il fallait lâcher. Ils l'ont fait sans notre avis. Et nous les avions prévenus qu'ils allaient être, un jour, obligés de revenir à la marche. Sans nous. Parce qu'on n'est pas sûr du lendemain. Ce n'est pas qu'on soit opposé. On les encourage. Mais, avec nous, qu'est ce qui va nous garantir qu'on va tenir jusqu'au bout? Voilà la difficulté. Puisque, c'est sine die que les premières marches ont été arrêtées. Alors, que le PEDN n'était même pas informé. Ce jour, on est venu à la réunion - c'était l'avant veille de la marche - et on nous dit qu'il faut qu'on arrête ces marches. L'ordre est venu d'où? Qui a influencé? Vous pensez que le PEDN doit être un parti gonio pour suivre? Non! C'est là où la faiblesse de l'opposition a commencé. Malgré les alertes que nous avions sonnées, on n'a pas été écouté. Voilà qu'on repart encore à la case-départ.
Nouvelledeguinee.com: justement, quelle doit être votre part dans cette lutte pour beaucoup plus de démocratie en Guinée?
Lansana Kouyaté: on n'est pas opposé à la marche. On n'est pas du tout opposé à la marche. Nous voulons être rassurés que la marche ne s'arrêtera pas. Nous voulons être rassurés qu'on n'est pas influencé et influençable par le pouvoir. Non. Aujourd'hui, Haut Représentant du chef de l'Etat, l'autre, on a vu ce ping - pong joué entre eux jusqu'à aboutir à cette histoire de chef de file de l'opposition. On ne l'accepte pas.
Le président de la république a dit qu'il n'a vu Conté qu'une seule fois. C'était au décès de sa maman. Alors, ça s'est adressé à qui? Au chef de file de l'opposition qui le voit.
Nouvelledeguinee: donc, vous conseillez Cellou Dalein de ne plus rencontrer Alpha Condé...
Lansana Kouyaté: je le conseille de ne plus le rencontrer, d'être dans l'opposition comme Alpha l'a été vis-à-vis de ses prédécesseurs.
Nouvelledeguinee.com: l'actualité guinéenne vient d'être marquée aussi par l'arrestation des artistes Elie Kamano et Takana Zion. Ces reggaemen manifestaient contre un éventuel troisième mandat du président Condé...
Lansana Kouyaté: c'est aujourd'hui que les arrestations ont commencé? C'est aujourd'hui que les fausses raisons ont prévalu pour qu'on arrête des gens? Je crois que tout cela ne fait que continuer. En fait, ce n'est pas un phénomène nouveau. Ici, ce qui est nouveau, c'est le 3e mandat. Mais, nous l'avions déjà dit. Si ont doit mener un combat, ça ne doit pas être un combat exclusivement pour parler de l'éventualité d'un troisième mandat. Les Guinéens souffrent. Qui n'en est pas informé? Quel est le niveau de vie du Guinéen aujourd'hui? Quel est le niveau d'insécurité en Guinée? Quel est le niveau économique de façon générale? On baigne dans la souffrance. Si on doit avoir un motif de protestation, il ne faut pas limiter ça au 3e mandat. C'est un problème, effectivement. On était déjà au 1er mandat quand il a dit qu'il était le Mandela de l'Afrique de l'Ouest. Et, certains ont dit: ça veut dire qu'il n'aura pas un second mandat. Je leur ai répondu qu'il pense déjà à un troisième mandat. Il faut connaître l'homme et savoir qu'il n'est pas dans l'exemple qu'il a donné de Mandela. Il est loin de ça. Pire: il est dans la dictature.
Nouvelledeguinee.com: aujourd'hui, l'opposition républicaine est divisée, complètement fracturée. Aboubacar Sylla, Mouctar Diallo et Telliano ont créé un Front pour l'Alternance Démocratique. Selon vous, qu'est ce qu'il faut pour rassembler toute cette opposition autour d'un même idéal?
Lansana Kouyaté: premièrement, il faut toujours se rappeler qu'on avait un défi à relever. C'était le défi que le président de la république a lancé à toute l'opposition. Il a dit haut et fort, à l'époque, que dans un an ou deux, il n' y aura plus d'opposition en Guinée. C'était un défi que l'opposition devait relever. Parce qu’il a prévenu. Il fait ce qu'il dit dans ce domaine. Dans le domaine de tout ce qui est division, il ( Alpha Condé ndlr ) est le plus grand dénominateur commun de division. Il nous a prévenus. Et, il est à la manœuvre. Qui a créé ces divisions? J'accuserai moins le président de la république que le manque de discernement de l'opposition qui aurait été prévenu. Alors, qu'on forme des petits groupes, ce c'est pas ce qui va arranger la Guinée. Je suis pour l'unité. Mais l'unité a une condition. Qu'on dise: non! Nous sommes dans l'opposition. Et qu'on ne cherche pas d'artifices. Un point, c'est tout.
Nouvelledeguinee.com: qu'entendez vous par artifice? C'est le fait d'avoir un chef de file de l'opposition?
Lansana Kouyaté: ça m"importe peu ça. En France ici, y'a-t-il un chef de file de l'opposition? Il y'a dans les consciences. Dès que vous êtes majoritaires à l'Assemblée, ça c'est automatique. L'opposition a prouvé que le président de l'UFDG était le chef de file parce que les 90 % de réunions de l'opposition se tenaient dans le siège de l'UFDG. Pourquoi on va accepter d'aller la bas si ce n'est pas une reconnaissance tacite de ce rôle qu'il joue à l'Assemblée? Pourquoi passer par une loi? C'est du tropicalisme. C'est du tropicalisme politique. Je crois que les grandes démocraties de ce monde ne sont jamais allées jusqu'à créer une loi pour désigner un chef de file de l'opposition. Mais, il est important que les opposants le reconnaissent. Et on l'a reconnu. Artifice parce que c'est cette histoire de chef de file de l'opposition qui a abouti au départ des autres. Probablement, il y'a aussi cette manne qui a été donnée mais qui n'a pas été distribuée. Je n'en sais rien.
Nouvelledeguinee.com: Cellou Dalein ne vous a-t-il pas consulter pour être parmi ses conseillers du chef de file de l'opposition guinéenne?
Lansana Kouyaté: ( Rires ) Non, non non! Il ne m'a pas consulté. Et, c'est tant mieux comme ça.
Nouvelledeguinee.com: la CENI traverse une crise. Bakary Fofana est démis de ses fonctions et le nouveau président n'arrive pas à asseoir pleinement son autorité.
Lansana Kouyaté: elles ne pourront ne pas se tenir. Tout cela part d'une raison fondamentale: est ce que nous sommes sérieux avec, un: les organes, les institutions qui sont en place. Le gouvernement est sérieux avec l'échéance des élections qui sont déterminées par la loi. On est à quel niveau pour les élections communales? Quand est ce qu'elles devraient se tenir? Depuis que ce monsieur ( NDLR: Alpha Condé ) est venu, on est toujours dans les délégations spéciales. C'est le premier acte anticonstitutionnel qu'il a posé. Ne l'oublions pas. Parce que dès qu'il est arrivé, il a compris tout de suite l'intérêt d'avoir des conseils municipaux à sa solde. Et, immédiatement, il a révoqué, en faisant référence à un article de la constitution qui prévoit cela. Mais, en ne respectant pas les formes édictées par la constitution. C'est clair. Quand un conseil est en faute et que, c'est le tiers au moins du Conseil qui est en faute et que cela est constaté par la justice, le président peut, après constat de la justice, les démettre et les remplacer par des délégations spéciales dont le mandat ne peut excéder six mois. Nos délégations spéciales sont devenues des délégations permanentes. Alors, on n'est pas étonné de ce qui arrive. Tout cela, c'est pour mélanger les cartes. On est dans une sorte d’embrouillamini totale où personne ne se retrouve.
Nouvelledeguinee:com: monsieur Kouyaté, comment allons nous faire, alors, pour sortir de cette situations? Vos solutions?
Lansana Kouyaté: le tort de la Guinée a été de limiter le nombre de candidature à la présidence aux partis politiques. Cela a été une erreur. Les candidats libres, on devait les permettre. La Société Civile joue son rôle. Ce n'est plus une question de partis. C'est une question à la fois des partis et des citoyens. Nous voulons la lumière, lumière au sens philosophique du terme, nous souhaitons le bonheur, alors, il faut qu'on agisse véritablement en fonction de l'intérêt du peuple. Ce qui n'est pas observé aujourd'hui. Les partis dénoncent. Après, on s'arrête. Il y'en a qui vont lui rendre visite. Il donne de l'argent par ci, par là. Il distribue des prébendes. Il semblerait que la cour de la présidence est remplie aujourd'hui de véhicules 4 - 4 qu'il distribue. Tout ça, c'est avec la même intention.
Quand on saura dire non, quand on saura résister aux difficultés et pour ne pas voir l'immédiat, alors, le peuple Guinéen va s'en sortir.
Nouvelledeguinee.com: mais, vous ne vivez pas dans l'enfer guinéen. Vous êtes dans le confort parisien. A quand votre retour au bercail?
Lansana Kouyaté: il est plus difficile de vivre à Paris qu'à Conakry. Le coût de la vie ici est très élevé. Vous êtes là et vous devez faire votre travail vis-à-vis de vos concitoyens, de vos parents qui sont malades, de ceux qui décèdent, là où il y'a un baptême... Tout ce qu'il y'a comme affaire sociale, ce n'est pas parce qu'on n'est pas en Guinée qu'on ne participe pas à ça. Vous savez très bien que cela nous suit. Aller à Honolulu ( NDLR: Hawaï ), Djakarta, dès lors que vous avez créé un parti, ou bien même sans que vous n'ayez un parti, chacun de nous supporte sa charge sociale de façon générale. Alors, ceux qui disent que je suis dans le confort de Paris et eux sont dans l'inconfort de Conakry, se trompent. Ils se trompent totalement. Ce n'est un plaisir pour personne de vivre longtemps sans son pays. D'abord: vous avez la nostalgie, deuxièmement, vous avez besoin d'être là pour des raisons politiques... Mais, si je ne le fais pas, j'ai mes raisons. Je suis, comme le dit l'autre, le maître du temps. Et,je fais tout en fonction de que j'ai ici ( il montre sa tête ) comme radar qui me guide. Parce que, je sais m'arrêter et réfléchir sur la situation. Je sais en tirer les conséquences. Je sais que la Guinée est mal partie. J'ai déjà dit que ça peut même futile de penser qu'il va amender la constitution. Il y'a des présidents qui sont restés sans amender la constitution. Et,si on est dans un tel scénario?
Nouvelledeguinee.com: oui, vous comptez rentrer quand en Guinée? Etes vous en exil?
Lansana Kouyaté: je suis très heureux que chacun s’intéresse à mon retour à Conakry. Cela prouve déjà que j'ai un rôle à jouer alors que, dès que le professeur Alpha Condé a été élu, ses premières activités ciblées, c'était de marginaliser mon parti. Mais, si tout le monde veut que je sois encore à Conakry, c'est probablement parce que le parti ( NDLR: PEDN ) joue un rôle et jouerait un rôle. Alpha n'a pas pu marginaliser mon parti. Sans quoi, on aurait été marginalisé purement et simplement. Il a déployé son talent de destruction, mais, il n'a pas pu.
Alors, je viendrai à Conakry quand cela me conviendra. Beaucoup me disent aujourd'hui: c'est toi qui a raison.
Nouvelledeguinee.com: on vous considère comme l'opposant le plus constant face à Alpha Condé...
Lansana Kouyaté: face à cette constance, il faut éviter qu'il ne me salisse. Si je suis la bas aujourd'hui, des choses vont arriver... Je vous rappelle qu'en 2010, on était en pleine campagne du premier tour. Je venais d'arriver à Mamou. Il était 06 heures quand je fus réveillé. On était arrivé à 05 heures. J'ai demandé qu'il y'ait un repos, d'au moins, d'une heure. Vous voyez comment c''était éreintant. La fin de la campagne, c'était le lendemain. A 06 heures, ce sont les journalistes qui sont à ma porte. Ils me disent qu'ils viennent d'être informés que dans les rues de Conakry, il y a des t-shirts à l'effigie du professeur Alpha Condé et à mon effigie. Et que partout, il se dit que je me suis réconcilié avec lui et que je suis devenu son allié. Qui a fait ça? Ce sont des manipulations, des pratiques lugubres du RPG. J'ai été victime de ça. Quand on arrivait à Conakry, c'était, vraiment, la confusion la plus totale. J'ai vu certains de mes militants pleurer à cause de ça. A cause de ça, certains n'ont pas voté pour moi. Les leçons de la vie sont faites pour qu'on les garde et qu'on applique la solution qui convient.
Nouvelledeguinee.com: si on comprend bien, ça veut dire que vous n'êtes pas du tout en contact avec Alpha Condé...
Lansana Kouyaté: qui en doute est heureux. Parce que heureux ceux qui ne savent pas. Aucun contact ni par téléphone, ni par personne interposée, ni directement, ni indirectement alors. Aucun contact. Si, je vous le dis, croyez moi. Je n'ai pas à me cacher. Depuis très longtemps, je n'ai pas été en contact avec Cellou. L'un de ses conseillers m'a appelé, il n' y a pas longtemps. Et, il m'a dit qu'ils se sont trompés. Qu'ils reconnaissent ( NDLR: UFDG ) que tout ce que je leur ai dit était vrai. Qu'ils n'ont pas suivi et qu'aujourd'hui, il les a cité - il a dit que j'avais bien dit qu'individuellement, les opposants n'aillent pas voir cet homme ( NDLR: Alpha Condé ), il faut le faire dans une émanation -. Je leur avais dit que si on rencontre Alpha individuellement, on ouvre déjà la porte à la division. C'est le virus qui va rentrer. Ce jour, c'est malheureusement le président de l'UFDG qui a dit: faisons nous confiance. Un de ses conseillers me l'a dit. C'est une décision collective qu'on a prise de ne pas siéger à l'Assemblée. Son conseiller m'a dit: vous avez respecté votre décision. Les autres ne l'ont pas respecté.
Il a continué à citer. Il dit: le président de l'UFDG va t'appeler. J'ai dit: qu'il m'appelle. Je saurai quoi lui dire.
Nouvelledeguinee.com: un rapprochement est il encore possible entre vous et Cellou Dalein Diallo?
Lansana Kouyaté: le PEDN est positif. Le PEDN étant positif, tout ce qui concourt à consolider l'opposition, c'est ce que le PEDN veut. Mais, ça ne peut se faire que sur la constance. C'est parce qu'on est constant qu'on ne veut pas être déstabilisé dans cette constance ni par le pouvoir, ni par les opposants qui font des vas etv viens.
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Lansana Kouyaté: un peuple ne peut pas, à un moment donné de son histoire, ne pas souffrir. Mais, les souffrances doivent servir de levain à fermenter la réaction. Si on laisse son sort entre les mains du destin, alors, finalement, on subit la vie. Ce n'est pas pour rien que le PEDN s'est fait appeler " Parti de l'Espoir". Parce que, si vous n'avez plus d'espoir, vous ne vivez plus. Le manque d'espoir signifie que vous accordez plus d'importance à vos souffrances qu'à vos espérances. Vous accordez plus d'importance à vos souffrances qu'au combat que vous devez mener pour mettre fin à ces souffrances. Quel grand peuple de ce monde n'a pas souffert? Il y'en a qui ont souffert et qui sont allés jusqu'à la famine, mais qui domine le monde aujourd'hui. Alors, cessons de nous plaindre. Tout dépend de nous. Aujourd'hui, nous avons des responsables, dont je connais l'intégrité, qui savent que la situation est pourrie, mais qui disent le contraire. Simplement, parce qu'on a peur de l'homme qui est là. En Guinée, quand ils ont soutenu, et quand la situation change, on dit souvent: ils changent de vestes. Chez nous, ils ne changent pas de veste. Ils la déchirent.
Propos recueillis par Mamadou Saliou Diallo et Azoka Bah ( Lynx FM )
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