Sékou Touré, le meilleur, le pire et ce qu’il en reste
La première fois que j’ai foulé le sol guinéen, c’était en 2007, sous la présidence de feu Lansana Conté, dans le cadre d’un reportage sur les victimes du camp Boiro.
À l’époque, Thierno Diallo Telli, fils de l’ancien ministre des Affaires étrangères (et premier secrétaire général de l’OUA), disparu dans les geôles de « Sékou », m’avait – on le comprend – dressé une image des plus sombres du régime d’Ahmed Sékou Touré.
Je me souviens de la maison ronde du ministre martyr sur la corniche, où son fils, qui était devenu un ami, ne cessait de ressasser. « Vers 18 heures, le téléphone a retenti. C’était le président qui voulait parler à mon père. Papa avait filé au palais avec un dossier sous le bras. D’après des témoins, il y a eu une dispute entre eux. “Je n’aime pas ceux qui cherchent à me surprendre !”, avait menacé Sékou. “Mais qui cherche à vous surprendre président ?”, avait dit mon père.
Et Sékou Touré avait alors répondu froidement : “Bonsoir, Telli.” C’était le 18 juillet 1976. Nous ne l’avons jamais revu. » À près de 60 ans, Thierno Diallo Telli pleurait encore. Il est mort en 2016 d’une longue maladie, de tristesse aussi.
Goulag tropical
Visionnaire panafricaniste pour les uns, dictateur sanguinaire pour les autres, Sékou Touré n’a jamais laissé indifférent. Mais, chose étrange, même ses ennemis lui reconnaissent certains traits positifs. Comme s’il y avait deux Sékou Touré, « l’homme du non » à de Gaulle, lors de son discours anticolonialiste du mois d’août 1958, resté dans les annales, et celui qui sombrera rapidement dans la paranoïa mortifère des complots contre lui.
Aujourd’hui encore, en visitant ce qui reste du camp Boiro, on est pris de vertige. Sur les murs des cellules sont parfois restés gravés à jamais les messages de souffrance, creusés avec les ongles, de ceux qui ont séjourné dans ce « goulag tropical ».
POUR NOUS, C’ÉTAIT “TONTON SÉKOU”, JUSQU’AU JOUR OÙ MON PÈRE A ÉTÉ ARRÊTÉ
Ibrahima Sory Tounkara est le fils d’un autre célèbre disparu, Tibou Tounkara, ancien ambassadeur en France et ex-ministre de Sékou Touré. « Pour nous, c’était “Tonton Sékou”, jusqu’au jour où mon père a été arrêté. »
Aujourd’hui, le dramaturge et scénographe « pardonne lentement, mais n’oublie pas ». Depuis le 25 septembre, il présente la pièce Mourir au pouvoir, sur la scène du Petit Musée, à Conakry, dans le cadre des cérémonies du soixantenaire. Un « hommage » aux chefs d’État qui s’éternisent dans leurs fonctions.
« En revanche, il faut reconnaître que, sur le plan culturel, la Guinée brillait de tous ses feux à l’époque de Sékou, car la culture était au service de l’idéologie. J’ai moi-même pu devenir comédien et metteur en scène grâce aux excellents professionnels de l’époque. Mais je me souviens que, tous les matins, on scandait à l’école : “À bas le colonialisme ! À bas l’impérialisme ! Vive la révolution !” Malheureusement, beaucoup de gens de ma génération ont été marqués par ce complexe et ce rejet du Blanc. Et, dès que ça va mal, c’est la faute de l’Occident… »
Simplicité et patriotisme
Quoi qu’il en soit, soixante ans plus tard, difficile d’oublier Hamed Sékou Touré, alors que Conakry est truffée de vestiges de son règne. Au Musée national de Guinée, non loin du palais Sékhoutoureya, le buste du père de l’indépendance trône encore au milieu de la cour. Porté au pouvoir par le référendum-plébiscite du 2 octobre 1958, il y restera vingt-cinq ans, jusqu’à son décès, le 26 mars 1984, aux États-Unis, où il avait été évacué en urgence pour une opération de chirurgie cardiaque.
Ceux de ses partisans qui l’ont côtoyé lui reconnaissent deux qualités majeures : « Sa simplicité et son patriotisme », comme le résume Madifing Diané, l’ex-directeur des services de sécurité et des services rattachés à la présidence. « On le voyait souvent passer dans les rues, au volant de sa propre voiture, une DS noire, son mythique calot blanc sur la tête, son sourire et, parfois, une cigarette guinéenne, une Milo, aux lèvres. Il agitait un mouchoir blanc par la fenêtre. »
Sa fille, Aminata Touré, victorieuse aux élections communales à Kaloum (Conakry centre), en février ( NDLR: 2018 ), se souvient aussi de cette simplicité. « Il aimait les repas en famille, la cuisine guinéenne. Il se servait lui-même. Il nous a toujours transmis des valeurs d’humilité et de travail. D’ailleurs, il refusait qu’un chauffeur nous emmène à l’école. Parfois, il nous faisait réciter nos leçons. Je n’ai pas non plus oublié son allure : il portait un soin particulier à sa tenue, c’était une manière de respecter son peuple, de le rendre fier de son chef. »
CERTAINS ONT D’AILLEURS COMPARÉ LE PREMIER PRÉSIDENT GUINÉEN À NAPOLÉON
Pour une partie de la jeunesse actuelle, « Sékou » représente le héros révolutionnaire, une sorte de Che Guevara guinéen. D’ailleurs, en 1965, le Comandante fera un court séjour à Conakry, où il sera reçu avec tous les honneurs par Sékou Touré avant de rejoindre le maquis congolais. Idem pour Fidel Castro, en 1972. « Je suis fier d’Ahmed Sékou Touré. C’est lui qui a donné l’indépendance et la souveraineté à notre pays », estime Lassine Koné, 29 ans, directeur d’une agence de communication, qui se dit « démocrate, mais pas révolutionnaire ».
Il reconnaît ainsi l’héritage du premier président : « Il a aussi construit les infrastructures majeures de la Ire République, qui perdurent encore aujourd’hui : les principaux bâtiments de Conakry, le Palais du peuple, les grands axes routiers, etc. Mais, c’est vrai, il y a eu les purges. »
Les milliers de « S » – pour « Sékou » – gravés sur la façade du monumental Palais du peuple (qui fut longtemps le plus grand édifice de l’Afrique de l’Ouest), inauguré en 1967, ressemblent aux traces laissées dans l’histoire par certains empereurs. Certains ont d’ailleurs comparé le premier président guinéen à Napoléon, pour son intelligence tactique et sa mémoire phénoménale.
Pour beaucoup, Sékou Touré serait surtout la réincarnation de Samory Touré, son ancêtre, qui ne fut ni plus ni moins que le fondateur de l’empire Wassoulou, lequel, de 1878 à 1898, résista à l’armée coloniale française.
Sékhoutoureya
Construit par la Chine à la place de l’ancien Palais des gouverneurs – où le premier président du pays vécut et gouverna de 1953 jusqu’à sa démolition, en 1983 –, le palais Sékhoutoureya (« Chez Sékou Touré », en soussou) a été inauguré en 1998 par Lansana Conté. Ce dernier ne quitta cependant jamais sa résidence du camp Almamy-Samory-Touré (ex-camp Mangin). Le palais n’est redevenu le siège de la présidence de la République qu’en 2010.
JA
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