La junte et le politique : un os dans la noce
Par Top Sylla
Au cours d’une promenade, deux leaders politiques guinéens croisent un génie. Étant dans de bonnes dispositions, ce dernier demande à l’un de faire un vœu qu’il exaucera sur le champ, à la condition d’accorder à son compagnon exactement le double.
Alors, médusé, le génie entendit comme réponse : « crève-moi un œil » !
Le troisième mandat d’Alpha Condé abrégé par un coup d’Etat militaire, pour maints observateurs, c’est un boulevard menant tout droit au palais présidentiel qui est balisé pour Cellou Dalein Diallo. Celui qui fut son principal adversaire politique, et qui reste le dirigeant de l’un des deux ou trois partis les plus importants du pays.
En toute logique donc, au regard du poids électoral de l’UFDG ( Union des forces démocratiques de Guinée), et de sa capacité de mobilisation inégalée sur l’échiquier politique national, quoi de plus normal que de voir en lui le grandissime favori de la prochaine course à la présidence de la République ?
A condition, bien sûr, que des élections régulières, transparentes et inclusives soient organisées au terme de la présente transition, dont nul ne connaît pour le moment la durée, encore moins la tournure qu’elle pourrait prendre ou les éventuels pièges qu’elle recèle pour les uns et les autres.
Cependant, si le fait d’être en pôle position augure de belles victoires, notamment un éventuel avènement du candidat Cellou Dalein Diallo au sommet de l’Etat guinéen, la médaille a son revers.
Cela ne va pas manquer de lui attirer les foudres de ceux qui ne voient pas d’un bon œil une telle perspective. Déjà, pour beaucoup de gens, il est (re)devenu l’homme à abattre (politiquement parlant), pour mille et un mobiles. On peut évoquer la rivalité, la jalousie, le communautarisme, les calculs politiciens…
À cause des enjeux liés à la transition en cours, d’anciens ressentiments sont ainsi ravivés. Au sein de la classe politique, y compris avec des leaders qui animaient avec lui l’opposition de l’époque, des braises rougeoient de nouveau sous les cendres de vieux conflits mal éteints.
À travers le conseil national de la transition (CNT), qui fait office de parlement sans être une vraie représentation nationale issue du vote des citoyens, certains rêveraient, à en croire l’intéressé, de le disqualifier par le truchement de « lois scélérates ». Quand d’autres, plus cyniques, seraient prêts à œuvrer pour une transition-marathon, un peu à la malienne, question de le faire languir, le diaboliser à outrance, avant de donner l’estocade. Avec le glaive d’une justice aux ordres, si possible.
Ce qui est nouveau peut-être, c’est qu’au-delà de la faune politique, où les ennemis intimes ne manquent pas, à l’UFDG on pointe du doigt également des faucons – en treillis ou non – autour du président de la transition.
Pourtant, si le coup d’éclat de ce dernier a été salué un peu partout en Guinée, c’est sans doute dans les fiefs de ce parti que l’applaudimètre a atteint des niveaux stratosphériques. Pour des raisons évidentes.
Pour faire des omelettes, il faut casser des œufs…
Il y a d’abord l’opportunité qui semblait offerte à son probable candidat de s’aligner, en toute confiance, sur la ligne de départ de la prochaine présidentielle.
C’est aussi la formation politique qui a payé le plus lourd tribut à la répression des manifs pro-démocratie qui ont jalonné le règne du président déchu, avec d’innombrables manifestants tués par balles, un nombre incalculable de blessés dont plusieurs estropiés à vie, des flopées d’embastillés (responsables du parti, militants et anonymes) qui ne seront libérés qu’au lendemain du putsch.
Seulement, au fil des mois, il est loisible de constater que l’idylle est en train de virer au désamour.
Et ce n’est pas l’exhumation du « serpent de mer » qu’est l’affaire dite « Air Guinée » qui va arranger les choses (du nom de l’ex compagnie aérienne nationale revendue par l’Etat pour non rentabilité, à l’image de nombreuses autres du genre en Afrique). Un épouvantail trop souvent exhibé par le passé, en vain, pour discréditer le président du parti.
Mais, s’il fallait accorder du crédit à ce faisceau de suspicions à l’encontre de la junte, quelles en seraient alors les motivations ?
Puisqu’il est écrit dans la charte qu’elle a publiée elle-même, que les membres du CNRD (comité national du rassemblement pour le développement), du CNT et du gouvernement sont exclus des joutes électorales à venir.
Autres interrogations : au fait, quels sont d’ailleurs les membres de ce CNRD ?
Si on s’entête à soutenir que c’est l’ensemble des forces de défense et de sécurité (FDS), ne faudrait-il pas alors trouver un mot plus adéquat que « comité »(réunion de personnes déléguées par une assemblée, par une autorité, par un ensemble, constituant un organe collégial de gestion, de consultation, de décision, etc.) ?
Quid des éléments des FDS à la retraite, ou qui entretemps quitteraient volontairement l’uniforme ?
Y a-t-il un ou des candidats qui avanceraient masqués dans l’ombre du CNRD ?
Un questionnement auquel le temps et le CNT vont certainement répondre. En partie pour le second, à travers les lois qui seront votées et son futur projet de constitution.
En attendant, au fil du temps et à l’épreuve du pouvoir, les putschistes voient leur capital sympathie fondre comme beurre au soleil. Au moment où le populo, confronté à un renchérissement du coût de la vie, attend avec impatience de voir son quotidien s’améliorer. Comme on le lui a promis.
Avec une question qui lui taraude probablement l’esprit. Au vu de tous ces effets d’annonce, de cette kyrielle de mesures menées manu militari et de réformes engagées aux forceps : après qu’on a cassé avec fracas autant d’œufs, quand pourra-t-on enfin voir la couleur des omelettes annoncées ?
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