Les militaires et le pouvoir
Par Venance Konan à Abidjan
Il y a quelque temps, des populations ont manifesté leur soutien aux juntes militaires qui dirigent le Mali et le Burkina Faso.
Qu’ont-elles fait pour jouir d’un tel soutien ?
A priori rien. Rien, sauf le fait d’avoir renversé des pouvoirs impopulaires, et, dans le cas du Mali, d’avoir fait partir les forces françaises. Sans préjuger des capacités et des intentions réelles des militaires qui ont pris le pouvoir dans ces deux pays, je dis que le fait qu’un président civil se soit montré incompétent ne fait pas automatiquement du premier galonné venu une lumière en matière de gouvernance d’un pays.
Le fait que le bon peuple, heureux de se débarrasser d’un porteur de costume, de boubou ou de Faso Dan Fani népotiste, corrompu ou incapable d’assurer la sécurité du pays, les acclame, ne leur confère absolument aucune légitimité pour prétendre vouloir diriger le pays.
Dans des débats que j’ai eu à suivre sur des radios et télévisions, j’ai souvent entendu dire que « la transition ne saurait se réduire à organiser les élections ». Mais si, justement. C’est à cela que doit servir la transition. Si les galonnés qui ont renversé les pouvoirs civils pensent qu’ils ont une vision pour diriger mieux le pays, qu’ils le fassent savoir vite, qu’ils se mettent alors en situation de demander les suffrages du peuple et s’ils l’ont, ils auraient alors la légitimité pour conduire toutes les réformes qu’ils jugent nécessaires pour le pays.
En Côte d’Ivoire, après le coup d’Etat de 1999, il a suffi de dix mois pour organiser un référendum et une élection présidentielle. Au Mali également, après le coup d’Etat de ATT, on n’a pas attendu des années pour organiser des élections. Cela ressemble à une escroquerie que de dire que l’on ne doit organiser des scrutins qu’après que, eux, les militaires, aient réglé toutes sortes de problèmes qui assaillent le pays dont la gestion relève d’un pouvoir légitime, et qu’il faut pour cela disposer de beaucoup de temps. De plusieurs années. Voire la durée d’un mandat.
Pourquoi faut-il nécessairement un gouvernement présidé par un militaire pour assurer la sécurité dans un pays ?
Et l’on invoque des concertations nationales qui auraient recommandé cela. Une concertation de quelques centaines ou quelques milliers de personnes soigneusement choisies ne constitue pas une élection ou un référendum. Le fait d’accéder au pouvoir par les armes ne confère aucune légitimité, même si l’on se fait par la suite investir par un Conseil constitutionnel.
Lorsque les militaires arrivent au pouvoir, l’une de leurs priorités est de changer la Constitution du pays. Et l’on dépense parfois des sommes folles pour cela.
Est-ce la Constitution qui a fait que Condé, IBK et RMC Kaboré ont mal dirigé leurs pays ?
En Côte d’Ivoire, lorsque Robert Guéï a pris le pouvoir en 1999, il a accusé la Constitution d’alors d’avoir contribué à diviser les Ivoiriens. Ce en quoi il n’avait pas totalement tort. Une commission chargée d’élaborer une nouvelle loi fondamentale a été mise sur pied. Un référendum a été organisé. Mais au finish, l’on a reconduit exactement les dispositions de l’ancienne Constitution qui posaient problème. Tout simplement parce que Guéï avait eu envie de troquer sa vareuse de général contre un costume de président. Tout le monde a vu les problèmes que cela a posés par la suite. En fait ces histoires de changement de Constitution permettent de gagner du temps afin de durer encore plus longtemps au pouvoir.
Le problème dans nos pays actuellement est de savoir s’il nous faut des pouvoirs forts qui nous mèneraient au pas ou des pouvoirs démocratiques. Précisons d’entrée de jeu qu’un pouvoir civil et démocratique n’est pas obligé d’être faible. Houphouët-Boigny que tout le monde pleure aujourd’hui en Côte d’Ivoire était un civil, pas vraiment démocrate, avouons-le, mais il était tout sauf faible.
Autant il savait être le père qui couvait ses enfants de cadeaux, autant il ne fallait pas trop le contrarier. Les victimes de ses faux complots, ses opposants et les syndicalistes enseignants qu’il envoyait régulièrement au camp Militaire de Séguéla en savent quelque chose. Un pouvoir militaire non plus n’est pas forcément éclairé.
L’on a vu les Lansana Conté et Dadis Camara en Guinée, Amadou Haya Sanogo au Mali, les cohortes de militaires qui se sont succédés aux pouvoirs au Ghana, au Bénin, au Nigeria, au Congo, Idi Amin Dada en Ouganda, Bokassa et compagnie en Centrafrique, Robert Guéï en Côte d’Ivoire, Eyadema au Togo, etc.
Les Rawlings, Sankara et Blaise Compaoré ne sauraient être les arbres qui cachent la forêt. On trouvera peut-être étrange que j’associe les noms de Sankara et Compaoré, mais si l’un, Sankara, a fait rêver la jeunesse d’une grande partie de l’Afrique, l’autre, Compaoré, a pu avec certes des méthodes parfois contestables, faire avancer son pays et le sortir de l’obscurité pour le mettre dans la lumière, en le préservant du péril terroriste.
Il n’y a qu’à demander leur avis aux Burkinabé confrontés tous les jours aux dures réalités de la vie. Pas aux activistes. Rawlings est crédité d’avoir fait évoluer son pays le Ghana qu’il a dirigé pendant une vingtaine d’années.
Mais pour un Rawlings, combien de crétins galonnés n’avons-nous pas eu sur notre continent ? C’est pour cela que je me méfie des militaires qui arrivent au pouvoir par la seule force de leurs armes et non par une volonté populaire. Même s’ils ont renversé un civil complètement abruti.
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