Mars 1984 à Mamou : Les dernières exécutions de Sékou Touré
Mercredi 21 mars 1984 - lundi 21 mars 2022, 38 ans déjà que 4 citoyens de Mamou ont été exécutés sur le terrain de football de la ville.
Ces exécutions ont été les dernières du régime Sékou Touré, car l’ultime prière des exécutés avant l’heure qui fut «que notre martyre soit le dernier en Guinée » aura été exaucée. Le président Sékou Touré, l’alpha et l’oméga de la décision des exécutions, mourait 5 jours après les fusillades.
A travers des témoins encore en vie, Badiko journaliste à Radio Bolivar de Mamou, s’est penché sur ce triste événement du régime du PDG qui a plongé plusieurs familles de Mamou dans le désarroi !
Tout est parti d’une affaire de carte d’identité qu’un policier avait demandée à un citoyen. Une émeute finit par éclater dans la ville. La police fut attaquée par des citoyens. Trois parmi ceux-ci y perdirent la vie par balles. Plusieurs autres furent arrêtés. Quatre, dont un muezzin, furent condamnés à la peine capitale. Le quotidien du Parti-État au moment des faits, Horoya, dans son numéro 013, paru le 12 mai 1984, soit un mois et une semaine après la mort de Sékou Touré, en fit sa « Une » : Les dernières cartouches du Tyran.»
Mardi 6 mars 1984, la ville de Mamou se réveille avec son animation habituelle. Alpha Oumar Firo Bah, en provenance du village Farenta, situé à une cinquantaine de kilomètres au sud de Mamou, portait son sac en bandoulière dans lequel il avait soigneusement gardé de la monnaie sierra léonaise, obtenue grâce à la vente de ses noix de colas.
Vers 10 heures, il se promenait librement dans la ville de Mamou. Soudain, un policier l’arrête et exige de lui la présentation de sa carte d’identité. M. Alpha Oumar Firo Bah ne l’avait pas sur lui. Il pria le policier de le laisser continuer son chemin. Que nenni ! L’agent lui intime l’ordre de le suivre au commissariat, situé à quelque 300 mètres de là. Un certain Mamadou Lamarana Bah, le grand frère d’Alpha Oumar Firo, un marchand dont le kiosque est juste à côté, fut informé.
Il intervient auprès du policier afin de libérer son jeune frère. Des curieux s’invitent pour observer la scène. Une chaude discussion s’en suivit. Alpha Oumar confia son sac à son grand frère puis s’éclipsa pour aller chercher sa carte d’identité à son domicile, dans le quartier Madina, un PRL distant d’un kilomètre.
Les disputes prennent une autre tournure. Le policier sollicite un renfort de ses collègues. Au lieu d’Alpha Oumar, c’est son grand frère Lamarana qui sera copieusement molesté par les policiers avant d’être conduit au commissariat » rapporte Horoya.
« Au commissariat pour trouver une solution, arrivèrent Boubacar Fofana président du comité de surveillance du marché, Bobo Barry secrétaire général de la JRDA, Bobo Baldé, membre du bureau fédéral, Mariama Dramé commandant de la section de gendarmerie et Guirassy Sano, maire de PRL d’origine de Mamadou Lamarana Bah.".
La foule toujours compacte aux alentours du commissariat exige la libération de Lamarana. C’est alors que tout ce beau monde s’interpose et demande l’évacuation des lieux. En vain ! Imperturbable, la foule demeure aussi ferme que la police ; et pire, elle gronde, lance des cailloux et met le feu à la tapade qui tient lieu de clôture du commissariat. C’est dans cette mêlée que Boubacar Fofana et Mariama Dramé reçoivent des projectiles sur la tête et au nez.
A leur tour, les policiers et leurs supporters désertent les bureaux pour se réfugier dans les cellules de la prison, avec leurs prisonniers. C’est en ce moment qu’un dignitaire de régime en informa le chef de l’État. Sékou Touré conclut immédiatement à un soulèvement, ordonna dans un premier temps, l’intervention du bataillon de Mamou.
L’armée intervient, quadrille la ville et tire en l’air quelques coups de sommations qui ne parviennent pas à dissuader les manifestants. De Conakry, rivé au téléphone, le président Sékou Touré qui dirigeait les opérations à distance, ordonna de tirer sur la population. Bilan : trois morts dont Thialéré, un condamné de fin 1982 à 15 ans de travaux forcés par le tribunal de Kindia.
Ce fut la première victime. Étant ce jour de corvée, certainement de transport d’eau, il avait échappé au contrôle du régisseur pour s’inscrire en première position dans les rangs des manifestants. Puis, vint Mamadou Bailo Bah, 26 ans, mécanicien soudeur.
Plusieurs personnes avaient été interpellées, parmi lesquelles, Amadou Oury Diallo « Hitler », un jeune commerçant bouillant, très populaire à l’époque. Saïdou Diallo, son jeune frère, explique : « Ce jour-là, mon frère était en brousse à la recherche des bois pour son four à briques. Dès qu’il est rentré à la maison, notre maman lui demanda de ne pas aller en ville car ça tirait partout. Il décida d’aller rester dans sa boutique pour éviter les pillages. Dans la soirée, des agents lourdement armés, à leur tête Bah Cubain, arrivèrent chez nous à la recherche de mon frère. Ils fouillent toute la maison puis retournent. Ma maman me dit d’aller chercher des nouvelles de mon frère. Arrivé à sa boutique, j’ai informé mon frère qu’il était activement recherché. Il me demanda de m’enfermer dans la boutique pour qu’il se sauve. Dans la nuit, les policiers arrivent à la boutique, me bastonnent proprement avant de vider la boutique. Les coups de crosse m’ont cassé la jambe. Plusieurs personnes furent arrêtées. Les cellules du commissariat étaient remplies à tel point que certains étaient ligotés dans la cour. Mon frère fut arrêté le lendemain et électrocuté au point de perdre l’usage de ses membres. »
Du 7 au 11 mars 1984, une cinquantaine de personnes passent devant la commission d’enquête avant de se retrouver à la barre, accusées de: « rébellion manifeste, outrage à agent, coups et blessures volontaires, destruction d’édifices, vol de denrées, abstention délicieuse et menaces de mort. »
Le procès s’est tenu publiquement à la maison des jeunes. Le président du tribunal de Mamou avait précisé que les interpellés ont tous reconnu les faits à eux reprochés. Que les accusés avaient bénéficié de l’assistance de quatre avocats commis par le ministère public. La peine capitale fut prononcée contre cinq prévenus : Mamadou Lamarana Bah, 37 ans, Oumar Diallo dit Belfegor, Hassane Bobo Banga, Mamadou Bailo Bah, 47 ans, muezzin et handicapé, Amadou Oury Diallo dit « Hitler » et Thierno Salmana dit Thierno Bouliwel, 42 ans, condamné par contumace.
Sont condamnés à 15 ans de travaux forcés : Sory Sacko, Sory Camara Maninka, Mamadou Hady Baldé, Ibrahima Barry et Thierno Amadou Barry.
Dyeila Barry, Issiaga Barry, Bintou Diallo et Guirassy Sano, écopent de 10 ans de travaux forcés. Sont condamnés à 5 ans de travaux forcés: Ibrahima Camara dit Séfou, Mouctar Fofana, Boubacar Tounkara, Moussa Kéita, Mamadou Oury Diallo, Thierno Abdoulaye Barry, Mamadou Oury Barry, Kikala Traoré, Boubacar Barry et Boubacar Barry Dalaba.
À la suite du procès, les familles des condamnés à la peine capitale décident de cotiser chacune une somme de 100 000 Sylis qui serait versée à un certain dignitairedu Parti-État pour le rachat de la vie de leurs proches. Saïdou Diallo, jeune frère « d’Hitler » se souvient que «notre frère avait commencé un bâtiment. Nous avons revendu ses 67 tôles à raison de 1 500 sylis la feuille, somme à laquelle nous avions ajouté, de surcroît, la rondelette somme de 10 000 Sylis». Hadja Fatou Banga, l’épouse de Hassan Bobo Banga, n’est pas restée les bras croisés, non plus. «Après la condamnation de mon mari, je suis allée à Kindia, mon enfant au dos, pour plaider sa cause. En vain ! »
Dans les colonnes de Horoya, Mamadou Bah, désigné émissaire des familles des condamnés pour plaider auprès des dignitaires du régime, témoigne : «Dès après le prononcé du jugement, je suis allé à Faranah où j’ai remis à Hadja Passy, épouse de Amara Touré, le frère du président Sékou Touré, la somme de 50 000 Sylis. La démarche visait à déblayer le terrain et surtout à rentrer dans les bonnes grâces du grand frère du président. Le même jour, Amara Touré reçoit par les soins d’un de ses familiers, en l’occurrence Mamoudou Condé, une enveloppe de 200 000 Sylis. Ce geste visait à l’amener à prendre fait et cause pour les condamnés à la peine capitale. En guise de réponse, Amara Touré ordonna à Mamoudou Condé de garder la somme en attendant qu’il intercède auprès de son jeune frère Sékou Touré, seul habilité à octroyer la grâce. C’est dans cette perspective que j’ai préparé le terrain auprès du régisseur de la prison civile de Mamou à qui j’ai fait parvenir 30 000 Sylis et ce, par l’entremise de El Hadj Moussa Bah, oncle de Bobo Banga. C’était le 14 mars, en début de soirée », précise-t-il.
Arriva le 21 mars, jour de l’exécution des peines. Déjà la veille, à 17 h, un véhicule parcourt les quartiers pour inviter la population à prendre part à l’exécution des condamnés au terrain de football.
Mercredi 21 mars, à l’embarcation des condamnés pour le terrain, les élèves de l’école primaire située à côté furent mobilisés. Parmi eux, deux enfants d’Amadou Oury dit «Hitler.» De là, ils coururent en famille pour annoncer la mauvaise nouvelle.
Hadja Fatou Banga se souvient des derniers moments de son mari : «Mon mari me demanda de lui préparer des courges ; c’est ce qu’il voulait manger. Sur le chemin de la prison, je rencontre leur cortège. On les conduisait au terrain pour l’exécution. Mon mari me regarda. Je ne pouvais rien. Certains me dirent de rentrer à la maison avec les enfants.»
Au terrain de football, lieu d’exécution, les 4 condamnés furent ligotés à des poteaux et emmaillotés dans des toges noires. Ils se débattaient et criaient leur innocence. Saïdou Diallo se souvient des derniers propos de son frère «Hitler». Mon frère ligoté a dit: «Dites à Sékou Touré d’arrêter de tuer injustement. Que nous soyons les derniers à être exécutés par lui. Quant à Mamadou Bailo Bah, le muezzin, il formula comme dernière volonté l’autorisation de faire ses ablutions et de lancer l’appel à la prière. C’est au troisième appel à la prière, que les balles du peloton lui transpercèrent la poitrine. »
Après les exécutions, les corps furent traînés dans une fosse commune sous les manguiers du terrain où ils furent ensevelis. Les familles n’osaient pas pleurer leur mort. Les condoléances se présentaient dans la discrétion.
Cinq jours plus tard, le 26 mars, le président Sékou Touré meurt aux États-Unis. Les jours qui ont suivi furent très rudes à Mamou. Pendant trois mois, il n’a pas plu. Des sacrifices furent offerts : du lait caillé versé sur leur tombe et des prières mortuaires pour le repos de leurs âmes.
Avec Bolivar FM
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