Des Etats-Unis au Fouta-Djalon : un prince découvre ses origines
Le 1er juillet, Artemus W. Gaye, descendant de la 7ème génération d’Abdou Rahman, fils du deuxième Almamy du Fouta, Ibrahima Sory Mawdho, est arrivé en Guinée pour découvrir le sol de ses ancêtres. Il était accompagné de Dr Abu Bakarr Jalloh, ingénieur de formation et écrivain, Mohamed Jalloh, ingénieur. La délégation a été accueillie en grande pompe par le haut conseil des sages de Timbo à Pamelap, localité frontalière avec la Sierra Leone. La délégation a ensuite continué en Moyenne Guinée, où l’hôte de marque a visité les lieux historiques du Fouta Théocratique d’où est parti son ancêtre : Timbo, Sokotoro, Saramoussaya (Mamou), Fougoumba (Dalaba) et Labé.
C’est avec beaucoup d’émotions que ce descendant d’Abdou Rahman a retrouvé les siens. Les larmes aux yeux, il a exprimé sa joie de fouler, pour la première fois, le sol de ses ancêtres après plusieurs années de recherche. «Je suis venu découvrir la terre de mes ancêtres qui est le Fouta Djallon. Je suis là, parce que je suis un de vous», a déclaré Artemus Gaye.
Dr Abu Bakarr Jalloh, né en Sierra Leone, ingénieur de profession et qui a poursuivi ses études au Japon et aux Etats-Unis, a écrit un livre intitulé : « From Babylon to Fuuta Jaloh ». « Dans ce livre, j’ai retracé le trajet des peulhs depuis l’ancienne Mésopotamie jusqu’au Fouta Djallon d’aujourd’hui. Après avoir publié ce livre en Amérique, j’ai eu un contact avec ceux qui ont fait le film « Prince amoung Slaves » ou « Un prince parmi les esclaves. » J’ai fait ma présentation là-bas, il y a eu beaucoup de questions sur le Fouta Djallon. Ainsi, les frères du Libéria m’ont mis en contact avec Artemus. Nous nous sommes rencontrés lors d’une cérémonie organisée en l’honneur d’Abdou Rahman, dans l’église qui avait mobilisé les fonds pour le ramener au Libéria. J’ai rencontré la famille et tout le monde était intéressé de venir découvrir le Fouta ».
Modi Oury Barry, membre du Haut conseil des sages de Timbo, était heureux d’accueillir l’un des siens. « Les familles du grand Timbo sont toutes contentes aujourd’hui, j’espérais cela, cela fait plus d’un siècle. Grâce aux bénédictions des anciens, aujourd’hui, c’est chose faite ».
Mamou, Timbo, Sokotoro, Saramoussaya
Dans la matinée du 2 juillet, Artemus Gaye et sa suite ont été présentés aux autorités de Mamou, notamment le gouverneur, le préfet et le secrétaire général chargé de l’administration de la préfecture. Il y avait aussi les sages et les autorités religieuses. Tous ont salué l’arrivée du descendant d’Abdou Rahman, fils du deuxième Almamy du Fouta, Ibrahima Sory Mawdo qui est une partie intégrante de l’histoire de la Guinée. Ils ont salué l’initiative et ont souhaité la bienvenue au descendant à l’hôte.
Le gouverneur de la région de Mamou, Colonel Aly Badara Camara, n’a pas manqué de louer le courage de ces personnes qui ont tenu à rechercher leur origine. «Un fils, un petit-fils qui tient à garder sa source, ce sont des valeurs qu’il faut saluer. C’est un sentiment de satisfaction de voir les fils qui sont à distance, venir voir les réalités de leur origine ».
El Hadj Mody Oury Barry s’est réjoui de la disponibilité des autorités avant de dire que cette visite relève de la coopération entre les Etats. « Pour nous, ce n’est plus entre Barry et Barry, c’est entre les Etats-Unis, le Liberia et la Guinée. Nos relations ont dépassé les relations de famille, nous sommes maintenant à un autre niveau. Comme on le leur a dit, c’est toute la Guinée qui les reçoit. Et cela entre dans le programme de la réintégration de l’Afrique ».
Sur la route nationale N°1, à Timbo, située à 55 km à l’est de Mamou, autrefois capitale du Fouta Théocratique, la délégation a été reçue au domicile de l’Almamy du Fouta, Karamoko Alpha où d’ailleurs se trouve son mausolée. Là également, forte mobilisation des sages, femmes, autorités religieuses et autorités administratives. Tous étaient émus de recevoir Artemus Gaye, descendant de la 7ème génération de leur aïeul. «Nous sommes très heureux. Nous remercions Allah qui a permis ce retour à la source de notre descendance. Nos parents avaient lutté pour implanter l’islam, ils ont pu le faire grâce à Allah. Ils ont fait des prières et des sacrifices. C’est grâce à ces bénédictions que nous nous sommes retrouvés maintenant pour continuer leurs œuvres », a indiqué El Hadj Boubacar Dara Barry, premier imam de la grande mosquée de Mamou. Et d’ajouter que le retour d’Artemus Gaye est le résultat des sacrifices consentis par leurs parents. Après ces scènes de joie, M. Gaye a accepté, volontiers, de se convertir en islam et se prénomme désormais Ahmed. Surtout que dans toute l’histoire, il est indiqué que son aïeul vient d’une famille royale qui a mené des guerres saintes, pour implanter l’islam. Et des prières et des sacrifices ont été faits.
De Timbo, direction Sokotoro, village situé à une dizaine de kilomètres de la sous-préfecture, toujours sur la route nationale N°1. Là, les hôtes ont visité la case où Almamy Oumarou se reposait après l’exercice du pouvoir à Timbo. El Hadj Baba Adoul Barry, sage du village de Sokotoro, a exprimé le bonheur des populations de recevoir un des leurs : « Si aujourd’hui, vous arrivez ici, nous sommes simplement très heureux.»
De là, les hôtes ont rallié la sous-préfecture de Saramoussaya, où ils ont passé la nuit le 2 juillet. Saramoussaya a été le chef-lieu du « canton de sain où Almamy Ibrahima Sory Mawdho avait installé la grande majorité de ces 53 enfants ».
Etapes de Porédaka et de Fougoumba
Le dimanche 3 juillet, la délégation a visité les lieux historiques de Porédaka, notamment Pettel-Djiga, pour comprendre (rocher aux charognards), où il y a eu la guerre fratricide entre Almamy Bocar Biro et le reste du Fouta en Février 1896. «Il y avait une organisation au Fouta qui voulait qu’après deux ans, l’Almamy rende le pouvoir à un successeur ; Almamy Bocar Biro, constatant la situation, le contexte, (les français voulaient coûte que coûte entrer au Fouta, voyant que c’est lui qui avait la capacité de mobiliser, pour pouvoir lutter contre eux), il n’a pas lâché le pouvoir. Ses frères, qui devaient choisir un parmi eux pour le remplacer, se sont coalisés contre lui et l’ont chassé du pouvoir. Il est reparti reconstituer ses troupes et revenir en force et a rencontré ses frères et ses cousins à Pettel-Djiga. Ici, c’est le Fouta qui s’est entretué. Tout le monde est tombé ici. C’est ce qui a donné le nom Pettel-Djiga ou le rocher aux charognards », a expliqué Mody Oury Barry, du Haut conseil des sages de Timbo.
Huit mois après, les frères qui avaient été vaincus à Pettel-Djiga, ont bénéficié de l’appui des français pour combattre Almamy Bocar Biro à Porédaka. D’où la célèbre bataille de Porédaka où son fils Mody Sory a été assassiné. Ce qui a conduit au déclin du Fouta Théocratique. Ainsi, les colons ont pu s’installer.
Après ce rappel historique, la délégation s’est recueillie sur la tombe de Mody Sory, située dans le village de Sabaato, à quelques encablures de la localité de Porédaka. A Fougoumba, capitale religieuse du Fouta Théocratique, elle a visité la case où les Almamy recevaient leurs couronnes, avant d’être intronisés à Timbo. La particularité, c’est qu’à Fougoumba, les cases ont résisté au temps pour le bien des visiteurs. Selon les sages de la localité, 2022 marque les 530 ans de ces cases. La première étant l’entrée principale où les sofas gardaient les lieux, mais aussi filtraient les entrées. Durant neuf jours, les Almamy avec à leur tête 9 couronnes, se prosternaient dans cette case. Chaque jour, dit-on. Une couronne était enlevée jusqu’à ce qu’il en restât une qui ne sera ôtée qu’à Timbo. Boubacar Barry, ressortissant de Fougoumba, a affirmé que la visite permet de raffermir la fraternité, les liens entre les familles du grand Timbo, qui sont : Timbo, Fougoumba, Bhouria, Kébaly et Fodé-Hadji. Même que Artemus Gaye servira de pont entre eux et la famille restée au Libéria et aux Etats-Unis.
Etape de Labé
La dernière étape a été le Diwal de Labé où Almamy Ibrahima Sory Mawdo, deuxième Almamy du Fouta a été inhumé. Dans la matinée du lundi 4 juillet, la délégation a visité le Musée du Fouta Djallon où se trouvent de nombreux objets de valeur, qui ont marqué l’histoire du Fouta, puis à la préfecture, où les autorités ont réservé un accueil chaleureux aux hôtes. «Il est en train de faire une visite de dignité, liée au sang de l’individu. Voilà un fils digne, un descendant digne, qui veut ramener une famille digne. Tout le Fouta doit se réjouir de cette visite. Parce qu’ils ne sont pas les seuls descendants de ceux qui ont été envoyés aux Etats-Unis d’Amérique et ailleurs, mais ils font partie de ceux qui sont en train de revenir dignement pour voir leur source et se confondre à leurs sœurs et frères », a déclaré Lanciné Sangaré, secrétaire général de la préfecture. Ensuite, les visiteurs se sont rendus chez El Hadj Badrou Bah, premier imam de la grande mosquée de Labé, puis à la Fondation Karamoko Alpha mo Labé, où ils ont été accueillis par le président de ladite fondation, El Hadj Mamadou Faza Diallo. Là, il y a eu une lecture du saint-coran. Après la prière de 14h, l’hôte, accompagné des sages, s’est recueilli sur le mausolée de son aïeul Ibrahima Sory Mawdho et sur les mausolées des autres chefs du Diwal de Labé. Partout, des sacrifices et des prières ont été faits à la mémoire des anciens. Durant tout le parcours, Artemus Gaye marqué par l’accueil et l’hospitalité qui lui ont été réservés, n’a pas manqué d’exprimer sa joie.
Que raconte l’histoire ?
Abdou Rahman, fils du deuxième Almamy du Fouta, Ibrahima Sory Mawdho, fut capturé lors d’une expédition, puis déporté aux Etats-Unis d’Amérique, en tant qu’esclave. En 1788, à l’âge de 26 ans Abdou Rahman a été acheté par un fermier, Thomas Foster, vivant en Nanchez dans le Mississipi. Il expliqua à son maître qu’il était fils de roi et souhaitait obtenir sa liberté contre une rançon. Il refusa de travailler au champ, et fut attaché et battu. Il parvint à s’en fuir et à se cacher. Mais ne connaissant ni le pays, ni la langue, il se résigna à revenir chez son maître et à se soumettre à sa condition d’esclave, avec dignité. Fervent pratiquant de l’islam et sachant lire et écrire en arabe, il bénéficia de la confiance de son maître qui lui confia certaines de ses plantations. En 1807, Abdou Rahman, en vendant des pommes de terre, rencontra par hasard un Irlandais borgne nommé Dr John Coates Cox, médecin d’un bateau ancré sur la côte et se perdit, s’enfonçant de plus en plus à l’intérieur du pays. On signala à l’Almamv, la présence de cet homme blanc et il ordonna de l’amener à Timbo où il arriva très malade. L’Almamy lui offrit l’hospitalité et le soigna. C’est ce blanc qui a donc reconnu Abdou Rahman et a entamé une démarche pour la libération de celui-ci, en vain. Ainsi, Abdou Rahman écrivit une lettre en arabe au roi du Maroc, qui à son tour, écrivit au gouvernement des Etats-Unis pour plaider sa libération. Le Secrétaire d’Etat américain d’alors, Henry Clay, fit une lettre à Foster, pour le rachat d’Abdou Rahman. Après plusieurs lettres et pressions de la part du Département d’Etat, Foster accepta de lui rendre sa liberté, à condition qu’il rentre en Afrique. Après plus de 40 ans de servitude, le 7 février 1829, Abdou Rahman et sa femme Isabella, née esclave aux Etats-Unis et devenue son épouse en 1794, prennent le départ pour le Liberia, dans l’espoir de retrouver Timbo et d’aider à établir des relations amicales et commerciales entre les Etats-Unis et le Fouta. Arrivé au Libéria, Abdou Rahman attendait la fin de la saison des pluies pour rejoindre Timbo, quand le sort en a décidé autrement. Il tomba malade et mourut à Monrovia le 6 juillet 1829 à l’âge de 67 ans, laissant derrière lui, 9 enfants et la veuve Isabella. Deux de ses enfants l’avaient rejoint au Libéria. D’où une communauté de la descendance d’Abdou Rahman établie actuellement au Liberia et aux Etats-Unis d’Amérique. Ils sont estimés à plus de 2 000 personnes.
La rédaction avec Le Lynx
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