Les dessous du divorce entre Mohamed Béavogui et Mamadi Doumbouya
Nous l’avions déjà mentionné en décembre dernier dans une de nos publications. « Mohamed Béavogui risque de ne pas conduire la baraque du Gouvernement de transition jusqu’à bon port. Et pour cause : Un faisceau d’indices montre des signes apparents de crispations et de malentendus au sommet de l’Etat ». C’était le 17 décembre 2021. L’histoire nous a donné raison.
Nommé Premier ministre le 06 octobre 2021, Mohamed Béavogui, 68 ans, technocrate de renom, qui a fait carrière dans les institutions internationales, n’a pu se tropicaliser. Durant son passage à la Primature, le diplomate onusien a difficilement réussi à filer le même coton avec la junte. Conséquences, il a été remplacé le 20 août 2022, par Bernard Goumou qui assurait l’intérim de son poste depuis le 16 du mois précédent. Le décret invoquait une « indisponibilité pour des raisons de santé ». Mais en réalité, il n’y avait pas que ça.
Les onze mois qu’il a passé à la Primature n’ont pas été pour lui un long fleuve tranquille. Au contraire, les moments de tensions n’ont pas manqué, les désaccords avec la junte militaire sur pas mal de sujets, non plus. L’ancien sous-secrétaire général des Nations-Unies n’a pas su imprimer véritablement sa marque. Les rares fois qu’il a tenté, il s’est heurté à un mur d’obstacles voire même désavoué et réduit dans le rôle d’un simple « faire valoir ».
Première brouille !
Décembre 2021, à la veille d’un sommet crucial des dirigeants de la Cedeao, Mohamed Béavogui, prend son bâton de pèlerin, accompagné du ministre des affaires étrangères Morissanda Kouyaté pour mener une offensive diplomatique tous azimuts à Abuja auprès des leaders ouest-africains pour éviter à la Guinée des sanctions supplémentaires.
Officiellement, ils étaient porteurs d’un message du colonel Doumbouya. Ils avaient vendu à ces derniers la promesse selon laquelle, le CNT (conseil national de transition), organe législatif de la transition, allait être mis en place avant la fin d’année. Le résultat fut probant, la Guinée n’avait été sanctionnée après le sommet d’Abuja. Mais la surprise fut grande quand, une fois de retour à Conakry, le CNRD a pris un communiqué martelant qu’il ne s’était engagé en rien. Premier désaveu cinglant pour le diplomate onusien, première fissure.
Comme si cela ne suffisait pas…
Alors que cet incident peinait de s’estomper, voilà une autre décision de la junte qui vient refroidir l’ex fonctionnaire international et les militaires. La rebaptisation de l’Aéroport du nom d’Ahmed Sékou Touré. Une décision clivante tombée comme un couperet sur la tête de M. Béavogui dont l’oncle maternelle feu Boubacar Diallo Telli ancien secrétaire général de l’OUA (organisation de l’unité africaine) devenue UA (Union africaine) avait péri dans les geôles du Camp Boiro.
Conduite du dialogue…et la bêtise de trop
Fin juin, l’ex premier ministre décide de reprendre les choses en main pour insuffler une nouvelle dynamique au dialogue sociale et politique. C’est dans ce cadre qu’une première rencontre s’était tenue le 27 juin. Pendant qu’il se débattait cahin-caha pour rassembler tous les acteurs -notamment les plus représentatifs autour de la table-, en vue de donner une nouvelle dynamique sérénité facilitant la conduite de la transition, il y a eu la « bêtise de trop ».
L’arrestation musclée de trois cadres dirigeants du FNDC (front national pour la défense de la Constitution), mouvement qui sera dissous plus tard par la junte. Ces images avaient fait le tour du monde.
« Tous ses efforts ont été mis à l’eau et c’était le retour à la case départ », confie un proche de l’ex pensionnaire de primature. Mais le clou a été surtout la répression sanglante des manifestations de fin juillet. « On ne peut pas nier qu’il était malade, mais il y a eu une succession d’évènements qui l’ont amené à s’éloigner sans embrouille de la junte. On imaginait mal comment il pouvait revenir alors que les droits de l’homme sont malmenés chaque jour dans le pays ».
L’autre raison…
Selon une source Gouvernementale, il n’y avait pas que ça. Il y avait un malaise au sein même du Gouvernement. En réalité, la dynamique imprimée par l’ancien sous-secrétaire général des nations-unies ne plaisait pas à certains de ses ministres. « Il est jugé trop procédurier par pas mal d’entre nous, il voulait imprimer sa façon de travailler dans les institutions au sein du Gouvernement alors que c’est différent. Sa méthode avait fini par créer un certain immobilisme. On ne le disait pas, mais c’était très compliqué. Pour redonner à l’équipe un nouveau souffle, il fallait un changement au sommet, sinon à vrai dire ça n’allait pas », confie un ministre.
A propos de ce malaise, il faut dire que c’était un secret de polichinelle. A la veille du départ en catimini de Mohamed Béavogui pour Rome, Mamadi Doumbouya visiblement agacé par l’immobilisme du Gouvernement avait convoqué les ministres pour taper du poing sur la table. Le lendemain, il écourtait le conseil des ministres, sommant ses ministres de descendre dans les rues jonchées de tas d’immondices pour le nettoyage de la capitale. Une opération spéciale à laquelle, l’ex premier ministre avait pris part. Il avouait d’ailleurs le « coup de colère » poussé par le président de la transition.
Mohamed Béavogui n'a pas pu supporter longtemps les "méthodes fortes" d’une junte militaire intransigeante qui n'a pas fini de dévoiler tous les secrets de son agenda.
Jeune Afrique
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