Justice: après avoir été grisé par le pouvoir, Dadis rattrapé par son passé
Par Venance Konan
Il y a 13 ans, nous vivions à l’heure des « Dadis Show ». Capitaine dans l’armée guinéenne, Moussa Dadis Camara avait pris le pouvoir par la force aussitôt après le décès du vieux dictateur Lansana Conté.
Il était effectivement plus prudent de faire un coup d’Etat à un cadavre. Et aussitôt le pouvoir grisa Moussa Dadis Camara, qui ne se contrôla plus. Il nommait et dégommait qui il voulait en public, selon son humeur, tenait des discours souvent incohérents dans un français plus que douteux, et l’on baptisa ses prestations les « Dadis Show ».
Il accorda une fois une interview à une télévision européenne, couché dans son lit. Si au début, il fit croire que le pouvoir ne l’intéressait pas, au fil du temps il commença à l’aimer, au point de vouloir le conserver. L’opposition décida alors d’organiser une grande manifestation dans un stade le 28 septembre 2009. Et les soldats vinrent tirer dans le tas, violer les femmes qu’ils rencontraient, faisant au total plusieurs centaines de victimes. Une commission d’enquête internationale établira plus tard qu’au moins 156 personnes avaient été tuées et 109 femmes ou jeunes filles violées.
Moussa Dadis Camara tenta de faire le dos rond, mais devant l’indignation générale, il voulut faire porter le chapeau à l’un de ses sbires, Aboubacar Toumba Diakité. Lors d’une altercation entre les deux hommes le 3 décembre 2009, Toumba tira sur Dadis Camara. Ce dernier fut blessé à la tête et au cou. Transféré au Maroc, il fut sauvé de justesse.
Toumba par contre disparut dans la nature. Une rumeur circula, disant qu’il s’était transformé en chien. Alors les soldats massacrèrent tous les chiens qu’ils croisèrent dans les rues de Conakry. Dès qu’il se sentit mieux, Moussa Dadis Camara débarqua du Maroc à Ouagadougou où, après d’âpres négociations, il accepta de démissionner. Plus tard, les nouvelles autorités guinéennes lui interdiront de revenir dans son pays où il avait encore des ambitions politiques. C’est finalement le 22 décembre 2021 qu’il put retourner en Guinée, une Bible et un Coran en main.
Les autorités guinéennes ont enfin décidé de juger les présumés auteurs du massacre du 28 septembre 2009, et Moussa Dadis Camara est actuellement incarcéré à la prison centrale de Conakry. Il y restera tout le temps du procès.
Au même moment où Moussa Dadis Camara est devant la justice de son pays, c’est un autre Kamara prénommé Kunti, originaire du Liberia, qui est face aux juges en France pour répondre des accusations de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. J’ai commencé à fréquenter le Liberia en 1990, au début de la Guerre civile qui ravagea ce pays, peu de temps après l’assassinat de Samuel Doe par Prince Johnson et ses hommes. Je me suis rendu dans ce pays à plusieurs reprises durant la guerre et après, au temps des règnes de Charles Taylor, et de madame Helen Johnson-Sirleaf.
Traverser le Liberia en voiture, c’était traverser un immense champ de ruines. Il n’y avait aucun village intact. J’ai rencontré pratiquement tous les chefs des milices, ainsi que plusieurs de leurs combattants. Je m’y suis fait de nombreux amis et j’y ai même eu de belles histoires d’amour, courtes mais intenses. L’un des chefs de guerre a baptisé son fils Venance parce qu’il était devenu mon ami. J’ai connu une combattante appelée Two For Five dont la fille est ma filleule. Je voulais écrire un livre sur sa vie, mais elle a voulu que je l’emmène avec moi en Côte d’Ivoire. Elle me disait qu’on la tuerait si elle parlait au Liberia. Je n’ai pas osé prendre le risque de revenir ici avec elle.
La guerre du Liberia, c’était l’horreur et la cruauté poussées à leurs extrémités et banalisées. Tuer ou torturer était devenu un jeu pour les enfants. Chaque fois que j’allais au Liberia, on me disait de me méfier encore plus des enfants, parce qu’ils ne font pas du tout de distinction entre le bien et le mal. A vrai dire c’était pareil pour les adultes.
Le cannibalisme était la chose la plus courante durant cette guerre. Il était pratiqué par tous les camps. Ils croyaient tous qu’on prenait la force de son adversaire en mangeant son cœur ou n’importe quelle partie de son corps. On me montra un homme qui avait fait de la chair humaine son alimentation principale, au point de manger son propre fils.
Lorsque Charles Taylor quitta la Liberia, des milliers de soldats désemparés envahirent le domicile de son chef d’état-major. Je me trouvais à Monrovia à ce moment et j’y allai pour discuter avec certains d’entre eux. Il y avait un Ivoirien parmi eux. Lorsque je lui posai la question sur le cannibalisme, il se tut un moment, puis, me montrant tous ces hommes et femmes devant le domicile du chef d’Etat-major, il me dit : « tous ceux que tu vois là, devant toi, femme comme garçon, il n’y a pas un seul qui n’a pas mangé de la viande humaine. » « Toi aussi ? » lui demandai-je. Il me répondit avec un petit sourire gêné : « moi je suis Ivoirien ».
Je n’ai pas connu Kunti Kamara. Mais il était temps que l’on commence à parler de tous ces crimes commis au Liberia devant un tribunal. Rappelons que Charles Taylor a été jugé et condamné pour son implication dans la guerre de Sierra-Leone, mais pas sur la guerre dans son pays le Liberia.
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