Nos ancêtres, les bagas (Tierno Monénembo)
Par Tierno Monenembo
Est-il convenable de faire du Ndimba-Pimba, le branding de notre pays ? Autrement dit, ce célèbre masque baga qui symbolise la déesse de la fertilité peut-il servir d’identifiant à la République de Guinée ?
Pour ma part et cela va de soi, je réponds d’emblée oui. Pour deux raisons simples : la civilisation baga est fondatrice ensuite, notre constitution laïque met toutes les icônes, tous les rites, toutes les croyances au même pied d’égalité.
Les Bagas sont pour les Guinéens ce que les Némètes sont pour les Allemands, les Bretons pour les Britanniques, les Gaulois pour les Français, les Ibères pour les Espagnols , et les Nabatéens pour les Arabes. Ils sont avec les Nalous, les Coniaguis, les Bassaris, les Tyapis, les Badiarankés, les Lélés, les Kourankos, les peuples autochtones de ce pays. Tous les autres sont venus. Cela veut dire donc que leur iconographie exprime mieux que toute autre le goût de cette terre et l’âme de son peuple.
La polémique soulevée par un imam de la place et qui, en ce moment-même, enflamme la toile, est donc malsaine, totalement inutile. C’est un débat qui n’ajoute rien de bon à notre vie politique et religieuse. Il est même choquant et je comprends parfaitement la colère de nos compatriotes bagas qui sont sortis massivement, défendre leur culture de nation première (comme cela se dit en Amérique du Nord et en Australie). Car, derrière la façade de cette malheureuse controverse, se cache un problème de fond : la survie de notre patrimoine africain face aux cultures et aux religions venues d’ailleurs.
C’est malheureux à dire mais le constat est là et il est plus amer que le ricin et l’aloès : les valeurs proprement nationales ne survivent encore qu’en Basse-Guinée et en Guinée Forestière (mais jusqu’à quand?).
Partout ailleurs, elles ont disparu sous l’effet dévastateur d’un Islam très mal compris. Surtout chez nos compatriotes peuls où seul l’Islam a été transmis, où il ne reste plus rien de peul. D’où le lourd handicap culturel que traîne cette communauté et qui explique à elle seule tous les problèmes qu’elle rencontre aujourd’hui.
Et pourtant, le grand Karamoko Alpha de Timbo que personne ne peut soupçonner d’idolâtrie avait dit et moult fois répété : « Toutes nos valeurs qui ne sont pas en contradiction flagrante avec les cinq piliers de l’Islam doivent être sauvées, protégées et promues ». Il ajoutait autre chose qu’il est urgent de rappeler aux générations d’aujourd’hui : « Nous sommes des Peuls devenus des musulmans, nous ne sommes pas des musulmans devenus des Peuls ».
Amadou Hampâté Ba était tellement conscient de la profondeur de cette crise que tout pieux musulman qu’il fut, il a passé sa vie à tenter de sauver autant que faire se peut, la mythologie peule en péril. Grâce à lui, j’ai appris que le panthéon peul comptait un dieu créateur, Guéno, assisté de 27 lareedhis dont Koumen, le dieu des pâturages, Kaïdara, le dieu de la Connaissance, Foroforordou, la déesse du lait, Kethiol, le dieu de la verdure etc.
J’ai appris que chez mes aïeux, Sheytane n’était pas un diable mais une diablesse au nom bien indiqué de Inna Bassal (la Mère de la Calamité). Sans le grand érudit malien tout ce pan de mon héritage an cestral aurait sombré dans le trou sans fond de l’oubli .
J’envie mes compatriotes bagas d’avoir encore leur Ndimba-Pimba, nos comatriotes guerzés, leur Niamou, nos compatriotes tomas, leur dieu-oiseau et nos compriotes kissis, Niâléwo, leur déesse de la pluie. Valoriser notre legs ancestral n’a rien d’offensant pour l’Islam.
Les masques bagas, les figurines coniaguis ou les prêtres guerzés ont d’autant le droit de figurer sur nos places publiques et sur nos armoiries que dans le contexte, ils ne doivent pas être considérés comme des objets des cultes mais comme des emblèmes culturels.
J’exhorte nos ministres de la Culture et de l’Education à ouvrir un musée anthropologique pour chacune de nos communautés et à enseigner les cosmogonies nalou, tyapi, peule, mandingue, guerzé, kissi etc. à nos enfants. Nous avons le droit de savoir comment vivaient, pensaient et priaient nos ancêtres avant l’arrivée de l’Islam et du Christianisme.
Ne confondons pas islamisation et mutilation culturelle !
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