Le syndrome des transitions militaires en Afrique : analyse et réflexions de l’ambassadeur Djigui Camara
Par Djigui Camara
Depuis quelques années, on observe une recrudescence des coups d’État sur le continent africain, particulièrement en Afrique de l’Ouest. Dans cette sous-région, il a été enregistré, au cours des trois dernières années, au moins quatre coups d’État réussis et plusieurs tentatives. Ces événements déplorables, malgré le déficit démocratique que l’on observe dans les pays, ne sauraient justifier a posteriori ce cycle de coups de force qui s’institutionnalise et prend de l’ampleur.
La réalité politique et économique de ces pays fragiles, dont le pouvoir a souvent été acquis dans des circonstances peu démocratiques, généralement à l’issue de mascarades électorales entachées de fraudes massives et aussi à l’issue de modifications constitutionnelles scandaleuses, est loin d’être reluisante.
Cependant, malgré ces tares, ces régimes civils ne seraient-ils pas plus enviables que les régimes militaires, dont l’irruption brutale aboutit à une confiscation du pouvoir, au mieux à une longue transition, aux conséquences incommensurables ?
La réponse à cette tragédie cornélienne, qui est celle de ces pays fragiles, n’est point aisée.
Ainsi, est-on amené à se pencher sur ce dilemme, àexplorer et à comparer les réalités et perspectives de régimes politiques instaurés frauduleusement au niveau de ces pays sur le triple plan politique, économique et social, à celles de l’alternance induite par les canons, tout en prenant en compte les incertitudes qui pèsent sur la durée hypothétique des transitions des régimes militaires une fois installés.
L’analyse de ces éléments dans les pays concernés permet de relever ce qui suit :
• Au plan politique, comme nous l’avons mentionnéprécédemment, la situation est caractérisée par des restrictions dont l’amplitude varie en fonction du caractère dictatorial du régime. Celles-ci peuvent aller de l’interdiction des manifestations à la mise au pas des partis politiques de l’opposition, des violations répétées des libertés fondamentales (droits d’expression), des droits humains, le népotisme, l’exacerbation des tensions sociales, des répressions sélectives, etc.
• Sur le plan social, on note une interdiction systématique du droit de grève, l’arrestation arbitraire des opposants et une forte répression des manifestations non autorisées, le refus des demandes de manifestation, etc.
• Au plan économique, on relève une évolution positive, notamment des investissements directs du fait de la relative stabilité politique imputable àl’instauration d’un régime dictatorial à connotation démocratique. Parallèlement, un accroissement des projets publics pour les mêmes raisons est observé.
S’agissant des régimes militaires issus des coups de force, ils font peur, même s’ils ont été accueillis et salués par des liesse populaires au moment de leur début. Sur le plan politique, particulièrement, ils ont tendance àrenforcer la sécurité autour de l’équipe dirigeante, traversée par des méfiances et des suspicions les uns vis-à-vis des autres. Cette situation déplorable déteint sur la situation politique du pays où l’on assiste à la naissance d’une véritable dictature militaire, crainte et coupée de la population. Les investissements se font rares, de même que les aides au développement.
Par essence, les régimes militaires mettent du temps àcharmer, à être attractifs, si bien que c’est seulement avec le temps que la situation économique, qui d’emblée n’est point rassurante, peut évoluer. Mais une fois encore, il faut du temps pour changer la donne.
Au plan social, la situation est généralement figée, d’autant que la nature du régime d’exception en vigueur est la porte ouverte à toutes les violations et privations, au mieux des restrictions draconiennes.
Ce tableau, sans être exhaustif, permet néanmoins de porter un jugement positif sur les régimes politiques issus même d’élections tronquées ou de modifications constitutionnelles frauduleuses.
Lorsqu’on prend en compte les incertitudes qui pèsent sur la durée des transitions militaires, dont nul ne peut prédire ce qui peut arriver, je citerai ici le cas emblématique du Congo qui fait aujourd’hui école, où le despote, à force de coups d’état successifs perpétrés, est parvenu à se maintenir au pouvoir pendant plus de trois décennies. Il y a aussi le cas de l’Égypte, où le président Sisi a fait main basse sur le pouvoir pendant plus de deux décennies et entamé la troisième décennie après avoir chassé et emprisonné le président issu des frères musulmans.
Au regard de ces éléments, est-il possible pour les pays africains de faire l’économie des coups d’état, eu égard àleur performance respective sur le devenir des pays africains, notamment de l’Afrique de l’Ouest ?
Devrions-nous accommoder les insuffisances des régimes politiques actuels, ou ces derniers devraient-ils céder la place aux régimes militaires ? Il revient à chacun de nous d’explorer et d’évaluer les chances de l’un ou l’autre de ces systèmes pour ouvrir à nous un boulevard de développement.
Ici, je tiens à saluer le cas du Rwanda, dont le régime, sans être issu d’un coup d’état mais d’une tragédie historique, a le grand mérite de bâtir un état moderne en phase d’émergence.
En définitive, il m’apparaît que lorsque la situation d’un pays suscite inquiétudes et désespoirs, le régime militaire peut être souhaitable, avec pour mission principale et unique, comme au Mali et au Burkina, de mettre fin à ses désordres dans le cadre d’une transition encadrée et àdurée limitée, pour ensuite se retirer aux termes de la période après avoir mis en place les fondations institutionnelles et constitutionnelles d’un état de droit solide et responsable.
Les militaires n’ont pas vocation à diriger un état, encore moins à promouvoir la démocratie, le développement économique, un état de droit. Ils sont utiles et ont un rôle régalien à assumer : la défense de la souveraineté et de l’intégrité territoriale. Le syndrome des transitions permanentes des états africains est une problématique d’ensemble qui exige des différents corps comportant une nation, un pays, des rôles et des missions différentes.
L’ambassadeur Djigui Camara, ancien ministre de la Coopération internationale
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