Histoire: coup de projecteur sur la vie de feu Diallo Talli, premier secrétaire général de l' organisation panafricaine
Diallo Telli est né en 1925 à Porédaka en Guinée, pays alors sous domination française.
Il se décrit lui-même comme un, dans cet ordre, Peul, Africain, Guinéen et Musulman. Très rapidement, il décide de faire carrière dans l’administration coloniale, et décide pour cela de commencer par passer son baccalauréat, qu’il passe en 1946/1947 à Dakar, et réussit ensuite le concours de l’ENFOM, Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer dans laquelle il s’avérera être un élève brillant.
Major de sa promotion, au lieu de choisir la filière « Administration Générale » qui était alors la plus prisée, il choisit la section « Magistrature ». Il connaît là encore des résultats fort brillants, et est affecté à Dakar, où il fera ses premiers pas dans la magistrature. Sa compétence et son opiniatreté au travail lui vaudront alors des promotions régulières.
Il devient dans un premier temps chef de Cabinet du haut-commissaire de l’AOF, Afrique Occidentale, à Dakar, en 1955. Il postule ensuite pour le poste de Secrétaire Général de l’AOF, et est finalement retenu pour le poste, auquel il accède en Avril 1957. Les 18 mois qu’il passera à ce poste lui permettront de se familiariser avec le fonctionnement d’institutions de type parlementaire, et surtout de cotôyer quelques grands comme Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny,Lamine Gueye, Ouezzin Coulibaly et bien d’autres.
AU SERVICE DE LA GUINÉE
Après le fameux référendum du 28 Septembre 1958 où la Guinée dira « non » à De Gaulle, accédant ainsi à l’indépendance, Diallo Telli de se mettre au service de son pays, malgré le grand amour qu’il avait pour la France, amour qui ne le quittera jamais. D’ailleurs, le fonctionnaire Telli a demandé à être mis en disponibilité avant d’aller en Guinée, ce qui lui aurait permis, en théorie du moins, de rejoindre son corps d’origine dès qu’il l’aurait souhaité.
On peut penser que dès ce moment Sékou Touré avait au mieux de la méfiance, au pire une aversion, pour ce guinéen brillant qui aurait pu lui faire de l’ombre sur la scène internationale, mais il confie néanmoins à Diallo Telli le soin de mener la « Bataille de l’ONU ».
En effet, consciente que la Guinée voterait contre elle dans le futur débat sur l’Algérie, la France a usé de tous les artifices possibles (songeant même à utiliser son droit de veto) pour empêcher, même temporairement, la Guinée de devenir membre des Nations Unies.
Diallo Telli a pu montrer ses qualités et ses grandes connaissances juridiques, par l’action qu’il a dû mener auprès de nombreuses délégations, et du Secrétaire Général des Nations Unies. Au final, la France a dû s’incliner, et s’abstenir durant le vote qui, victoire personnelle de Diallo Telli, scellait l’admission de la Guinée au sein du concert des nations.
A L’ASSAUT DES ETATS-UNIS
De 1958 à 1964, la carrière de Diallo Telli se déroulera aux Etats-Unis où il sera ambasadeur de Guinée d’Avril 1959 à Juin 1961. Il sera un des représentants permanents de la Guinée de 1958 à Juin 1954, avec une interruption entre Juin 1960 et Mars 1961. Curieusement, probablement à cause de l’aversion que lui vouait Sékou Touré, Diallo Telli dirigera rarement la délégation guinéenne lors des débats les plus importants, il s’agira à chaque fois de quelqu’un de « parachuté » de Conakry. Ceci dit, l’expérience américaine permettra encore à Diallo Telli de faire montre de ses qualités, et de se montrer très efficace lors du travail en commission.
En particulier, il se montrera très actif sur certains sujets qui tenaient à coeur à l’africain qu’il était, ainsi qu’au président Sékou Touré, qui se voulait l’un des pères, avec Kwame Nkrumah, du panafricanisme. On peut en particulier parler des vifs débats qui ont eu lieu sur la décolonisation, et qui ont abouti on le sait à des indépendances massives en 1960, ainsi que sur le sujet de l’apartheid sur lequel il sera très virulent, en tant que président du comité de coordination et de lutte contre l’apartheid.
A son grand regret, il a dû être l’instrument de Sékou Touré dans des débats contre la France, même si ça choquait un peu l’ami de la France qu’il voulait demeurer, et qu’il a toujours fait son possible pour faire passer le message à ses amis parisiens qu’il le faisait « contre sa volonté ». On peut ajouter qu’il n’a jamais été totalement libre de ses mouvements, et que Sékou Touré lui a toujours adjoint des « collaborateurs » chargés de le surveiller, et de faire des rapports circonstanciés à Conakry.
A L’ASSAUT DE L’OUA
Quand l’Organisation de l’Unité Africaine est créée à Addis-Adeba, le nom de Diallo Telli s’impose comme celui de l’un des favoris au futur poste de Secrétaire Général de l’organisation. Malheureusement pour lui, il doit faire face à l’opposition de son propre pays puisque Sékou Touré ne souhaitais pas voir quelqu’un de sa carrure devenir la personnification de la Guinée à l’étranger.
L’habilité de Telli, rompu aux discussions de coulisses, et le soutien de quelques personnalités, dont le Négus d’Ethiopie, Haïle Selassie, renforceront son caractère indiscutable, et Sékou Touré, à contre-coeur, devra s’incliner, et laisser Diallo Telli devenir le premier Secrétaire Général de l’OUA.
La fonction fut cependant bien plus difficile que ce que le prestigieux titre laissait penser. En effet, à côté du Secrétaire Général, élu pour 4 ans, est également élu un Président, parmi les présidents africains.
Et selon les ambitions dudit président, les choses peuvent se passer avec plus ou moins de bonheur.
Tous n’apprécieront pas forcément les prises d’initiative de Diallo Telli, qui se considéraient comme un « politique », là où de nombreux présidents le voyaient comme un « administratif » chargé de la bonne marche opérationnelle des choses, les présidents se chargeant des tâches plus nobles.
Il eut également la lourde responsabilité de mettre en place l’organisation, ce qui ne fut pas sans mal, de recruter du personnel qualifié, et aussi et surtout, d’insister lourdement auprès des états récalcitrants pour qu’ils soient à jour de leurs cotisations, les impayés ayant représenté jusqu’à 25% du budget qu’il avait déjà du mal à faire voter!
Toujours très motivé par la lutte contre l’apartheid, Diallo Telli mêlera l’OUA à de nombreux conflits, dont celui du Congo avec Lumumba, et la guerre d’indépendance du Biaffra au Nigéria. Il sera très actif pour faire connaître l’organisation à l’étranger, et parviendra à une normalisation des relations avec l’ONU.
En 1968, sa réélection s’avérera extrêmement difficile, et encore une fois, le seul soutien qu’il obtiendra de la Guinée sera un soutien de pure façade. En 1972, bien qu’il n’ait pas ménagé ses efforts, il ne parvient pas à se faire réélire au poste de Secrétaire Général de l’OUA.
Battu, Telli réfléchit longuement à son avenir.
Il aimerait bien occuper de nouveau un poste prestigieux, et prend contact avec Kurt Waldheimalors Secrétaire Général de l’ONU, mais ce dernier n’a aucun poste intéressant à proposer à quelqu’un du calibre de Diallo Telli. Il est également contacté par l’opposition guinéenne en exil, qui voit en lui une personne ayant la carrure nécessaire pour incarner la Guinée, mais il ne se voit pas, après les prestigieux postes qu’il a occupés, mener l’existence précaire d’un opposant en exil.
Il pourrait rentrer en Guinée, mais il sait pertinemment que depuis quelques années Sékou Touré avait pris un dangereux virage, et s’était mué en dictateur sanguinaire. Il sait que ce dernier le déteste, et il sait que son nom a été cité dans un complot totalement imaginaire, et que les autres personnes citées dans ce complot croupissent dans le glauque Camp Boiro dont nous reparlerons.
Cependant, Sékou Touré de son côté fait tout son possible pour pousser Telli à revenir, n’hésitant pas à faire pression sur sa famille. Dans le grand débat qui s’installe sur le retour ou non, de Telli en Guinée, certains présidents africains n’hésitent pas à lui promettre leur soutien en cas de difficultés. Et finalement, Diallo Telli, au grand dam de plusieurs personnes, décide de retourner en Guinée.
MINISTRE DE LA JUSTICE
Magistrat de formation, c’est tout naturellement que Diallo Telli est nommé Ministre de la Justice en 1972, poste qu’il occupera jusqu’en 1976. Comme à son habitude, il déploiera une grande énergie à son poste, menant par exemple la réforme du Code Civil, pour passer du Code Civil Français à un Code Civil 100% guinéen.
Il sera également un membre du PDG, le Parti Démocratique Guinéen, le parti-unique au pouvoir en Guinée, et effectuera également des missions d’inspection pour le compte de ce parti. Comme la plupart des personnalités, il est naturellement surveillé par la police secrète.
Il n’a plus le droit de voyager, et ne peut plus donc, comme ça lui était souvent arrivé dans le passé, aller consulter des psychiatres parisiens.
Petit à petit, il sombrera dans une forme de dépression. Le 18 Juillet 1976, Diallo Telli dîne au palais présidentiel, et on peut ici reproduire les derniers mots qu’il a échangés avec Sékou Touré: " Mon cher Telli, j’ai au moins une qualité qu’il faut me reconnaître, c’est de ne jamais me laisser surprendre…
-Mais qui veut te surprendre, Président?
-Au revoir Telli!
Peu de temps après, à 3 heures du matin, Diallo Telli était arrêté à son domicile.
LE « COMPLOT PEUL »
Comme à son habitude lorsqu’il souhaitait se séparer d’opposants ou de personnalités gênantes, Sékou Touré n’a pas hésité à monter de toutes pièces un « complot Peul », totalement inventé, dont les protagonistes étaient tous peuls, mouvement imaginaire qui aurait mis Diallo Telli à la tête du pays. Le problème, c’est qu’il tenait à avoir des « aveux » de tous les « conjurés » membres de ce « complot », et à prendre toutes les mesures nécessaires pour y parvenir.
La technique utilisée est toujours la même. Le détenu est d’abord placé à la « diète noire » qui consiste en une totale privation d’eau et de nourriture, puis interrogé dans la tristement célèbre « cabine technique ».
Dans cette cabine, divers instruments électriques étaient installés sur certaines parties sensibles (oreilles, bouche, organes génitaux) avant que de violentes décharges électriques soient générées.
Diallo Telli a longtemps résisté (19 jours) à ce traitement, et a finalement discuté avec Sékou Touré, et le dictateur lui a promis que s’il acceptait de lire ses « aveux », il accèderait à la volonté de Telli de faire publier ses « vraies déclarations » un peu plus tard.
LA TRISTE FIN
Le 12 Février 1977 Diallo Telli et d’autres détenus ont été une nouvelle fois placés en« diète noire », mais cette fois ça allait être leur dernière. On a même changé la cellule de Telli, parce que la porte de la sienne était rongée par la rouille, et aurait pu laisser passer plus d’air, voire un peu d’eau si d’autres détenus ou gardiens avaient voulu adoucir son lent calvaire. A cette période de l’année où il fait 40° à l’ombre en Guinée, la température est comprise entre 45 et 50° dans les cellules.
Lentement, très lentement, le corps se vide peu à peu de ses eaux, et le supplicié commence par perdre l’ouïe et la vue, avant de sombrer tout doucement vers la mort dans d’atroces souffrances. Diallo Telli a jusqu’à la fin continué à remonter le moral des autres détenus, et est demeuré un musulman pratiquant, utilisant un chapelet fait de boules de pains séchés, les gardiens ayant confisqué tout le reste.
Dans ses derniers échanges avec Sékou Touré et les autres détenus, il s’est montré lucide et réaliste jusqu’au bout, conscient de sa mort inéluctable, il a souhaité mourir en bon croyant.
Malheureusement, le 1er Mars 1977 au matin, sa résistance a pris fin, et la vie de Boubacar Diallo Telli a pris fin, dans cette sinistre cellule 52 du Camp Boiro.
Comme si le comble de l’horreur n’avait pas été atteint, Sékou Touré a tenu à venir voir en personne le corps sans vie de Diallo Telli. D’après certains témoignages de détenus, comme pour les décédés « nobles » des prélèvements ont été effectués sur le corps de Diallo Telli, pour servir de « sacrifices ».
Une fois les prélèvements terminés, et après une toilette sommaire, le corps sans vie de Diallo Telli a été enterré dans une fosse commune, et sa famille, même après la mort du dictateur, n’aura jamais l’occasion de lui donner une sépulture décente.
Source: Mémoires du Camp Boiro
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