Les Constitutions en péril en Afrique subsaharienne francophone ?
Par Eric Topona
« La constitution est le guide que je n’abandonnerai jamais », jurait George Washington, le premier président des États-Unis d’Amérique (30 avril 1789 et 4 mars 1797).
Le serment de cet homme d’État et de ce militaire à la parole d’honneur indubitable résonne d’autant plus qu’il l’aura respecté avec une fidélité religieuse. À l’observation des débats qui ont cours dans certains États africains depuis quelques années, sur la constitutionnalité de certaines décisions politiques, il est de bon ton de se demander si la loi fondamentale revêt encore cette sacralité que lui reconnaît George Washington.
Un cas d’école
Le Sénégal vient d’offrir à l’Afrique et au monde un feuilleton politico-juridique que même les futurologues dotés d’une science infuse de l’avenir n’avaient pas vu venir au pays de Léopold Sédar Senghor, d’Abdou Diouf et du distingué constitutionnaliste Kéba Mbaye. L’avenir proche nous réserve peut-être un épisode de plus, jusqu’à la prestation de serment et l’entrée en fonction du nouveau chef de l’État.
Ce vaudeville institutionnel entre le chef de l’État sortant, Macky Sall, et les sept sages du Conseil constitutionnel, au-delà de sa façade ubuesque et surréaliste, questionne les processus démocratiques enclenchés en Afrique subsaharienne francophone à l’orée des années 1990 et charrie un lot d’inquiétudes pour l’avenir.
Avec la fin des partis uniques et l’instauration du pluralisme politique, les peuples africains croyaient révolue l’époque des coups d’État militaires et voyaient, dans les constitutions de ces démocraties naissantes, le juge de paix pour trancher des différends dans l’espace politique. Mais, pour un bilan d’étape, la désillusion est grande. Non seulement, à peine les processus démocratiques amorcés, la prise du pouvoir par les armes est redevenue une modalité d’accession au pouvoir ; mais un néologisme s’est imposé dans la science politique africaine.
En effet, lorsque que l’on parlait de coup d’État, dans les années 1970 ou 1980, il n’était guère besoin d’adjoindre l’épithète ‘’militaire’’, car un coup d’État ne pouvait être que militaire. Néanmoins, à présent, une nuance s’impose par la force de l’histoire ; un coup d’État peut aussi être ‘’constitutionnel’’. Cette innovation regrettable dans l’ingénierie du politique en Afrique fait voler en éclats les précieux acquis démocratiques glanés de haute lutte et au prix de milliers de vies humaines et assombrit l’horizon politique dans ces pays.
Subterfuges et arguties juridiques
Il serait fastidieux de revenir sur les subterfuges ou les arguties juridiques mis à contribution pour désacraliser les constitutions. Le modus operandi est quasiment le même. Pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats, on commence par distiller à grands bruits la nécessité de ‘’faire évoluer les institutions’’ ; et, dans l’écheveau de quelques nouvelles dispositions constitutionnelles, on insère un article qui ouvre la voie à une présidence à vie ou à des mandats supplémentaires.
Dans le cas spécifique du Sénégal, l’argument de l’exécutif relève de l’inédit en la matière. C’est la moralité même de certains juges constitutionnels que le chef de l’État a cru devoir remettre en cause pour reprendre la main sur le processus électoral et s’offrir des leviers d’action politique qu’il ne possédait plus. Mais ce sont plutôt les sages du Conseil constitutionnel qui ont repris la main par la seule force du droit. Ce précédent sénégalais est extrêmement périlleux et pourrait malheureusement faire école en Afrique.
Culture démocratique
Comment mettre un terme à une nouvelle donne qui s’apparente à une régression démocratique dans certains États africains ?
S’il faut s’accorder avec Barack Obama sur la nécessité, pour l’Afrique, de se doter d’institutions fortes, il faut également reconnaître que ce sont les hommes qui donnent la force aux institutions. Que peuvent les seuls textes contre la volonté d’un homme qui s’empare du pouvoir d’État par la force des armes ? L’accession démocratique au pouvoir et l’exercice démocratique du pouvoir doivent être ancrés dans la culture des entrepreneurs politiques et des hommes d’État pour que les fusils demeurent dans les casernes ou chez les armuriers.
En revanche, il faut davantage affermir les constitutions pour neutraliser toute tentation au pouvoir perpétuel par le tripatouillage des textes. En ce sens, la constitution du Bénin pourrait faire école ; et son verrou inexpugnable est tout à l’honneur du génie juridique et politique des députés béninois. En 2019, ils ont adopté la révision constitutionnelle qui prévoit qu’un président ne pourra pas faire ‘’plus de deux mandats dans sa vie’’. Un exemple à suivre par les autres pays du continent africain.
Eric Topona
Journaliste au service Afrique de la Deutsche Welle en Allemagne
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