Avènement du CMRN au pouvoir : les dépositions de Moussa Diakité
Commission d’enquête : En 1960 il y a eu une conférence à Kankan autour du plan triennal (…), du 1er plan triennal à laquelle assistait un certain monsieur « Declercq »… … alors il aurait fait un projet de plan pour la Guinée, le premier plan pour la Guinée. Si vous avez souvenance, peut-on savoir pourquoi ce plan a été fondamentalement rejeté ? Pouvez-vous nous expliquer les raisons ?
Moussa Diakité : Vous savez, après la création de la monnaie, le gouvernement a été modifié un peu, le gouvernement a créé un poste de ministère de plan. N’Famara a été désigné Ministre du Plan. Et le camarade défunt qui avait aussi des grandes idées, nobles, a demandé au chef d’État de lui permettre de se faire assister par des spécialistes de la planification. Nous avons fait appel d’ailleurs à des hommes d’un niveau extrêmement élevé. Il y avait l’un dont vous parlez, qui est Mathiste. Vous avez René Dumont qui a fait ce fameux livre dont on parle beaucoup « L’AFRIQUE EST MAL PARTIE ». Et après quelques mois de travail le camarade N’Famara a présenté un projet. L’ancien chef de l’Etat a soupçonné que ce projet était d’inspiration de Bethlehem et qui était Mathiste et qui ne s’en cachait pas. Mais nous disons bien que pour nous le plan n’avait rien de Mathiste puisque c’est un plan intérimaire de trois ans alors que le premier plan, nous voulions leur donner une durée de 7 ans. Mais que pour une première donnée, il fallait absolument faire un plan intérimaire, c’est-à-dire qui devait ramasser les problèmes les plus urgents qui se posent et qui devait les résoudre dans un temps déterminé. C’est ce qu’on appelait alors le plan triennal. Bethlehem, dans le rapport peut-être qu’il a inspiré, voulait d’abord qu’on commence par briser les anciennes structures du régime colonial. C’était le fondement de ce plan. Qu’il fallait mettre en place les infrastructures administratives puisqu’il y a des Régions qui n’ont pas d’infrastructures. Donc briser les structures de l’ancien régime colonial, c’est d’abord refondre tous les textes et mettre en place de nouvelles structures et à partir de ce plan, faire des créations. Voilà ce qu’il y avait dans ce plan. Mais le chef de l’Etat évidemment s’était énervé pendant la discussion et il avait peut-être eu d’autres informations mais cela ne résultait pas du tout des textes du plan. Il a dit que la Guinée n’est pas communiste et que jamais la Guinée ne sera communiste, il l’a déclaré et que nous sommes défenseurs de la situation des pays en développement, nous ne voulons pas nous couper des autres pays en nous targuant de communistes, premièrement. Deuxièmement, nous sommes des musulmans convaincus, des croyants. Et ce jour-là, il a pris à partie notre camarade de faiblesse de s’être laissé dominer par les planificateurs considérés comme des savants. Voilà vraiment ce qui s’est passé en résumé au cours de cette conférence.
Commission d’enquête : Donc, il n’y a eu aucune pression sur le chef de l’Etat lui-même ?
Moussa Diakité : Non ! Aucune pression. De quelle pression par exemple ?
Commission d’enquête : Interne. De certains Guinéens, à l’époque à l’intérieur du gouvernement.
Moussa Diakité : Non ! Vous savez, nous à l’époque, nous étions jeunes. Et moi, on me taxait de communiste et je n’en avais pas honte. Parce que ça correspondait à une époque…
Commission d’enquête : Mais je parle de l’autre côté, on dit qu’il y avait certains qui n’étaient pas pour le plan parce qu’il était un peu communisant…
Moussa Diakité : Non, c’est dans les archives, vous pouvez voir le plan. C’est un plan intermédiaire. C’était un plan véritablement définitif.
Commission d’enquête : Moi, j’ai une dernière question. C’est pour savoir pourquoi le délai de 45 jours n’a pas été respecté ?
Moussa Diakité : Ah, il faut poser la question à ceux qui ont fait le coup d’Etat.
Commission d’enquête : Non, parce qu’on a pris un discours d’investiture pour le 3 avril.
Moussa Diakité : Hein ?
Commission d’enquête : Un discours d’investiture de feu Lansana BEAVOGUI comme président de la République.
Moussa Diakité : Ah, peut être … je n’ai pas lu son discours mais ce qui était certain, nous voulions à un moment … peut-être abréger le délai, c’est-à-dire que en réunissant le Comité central, en réunissant l’Assemblée nationale populaire, il y avait dans la Constitution ce qu’on appelait l’assemblée suprême. Donc l’Assemblée suprême pouvait prendre n’importe quelle disposition à n’importe quel moment quand les événements l’exigent. Voilà donc nous avons décidé après avoir investi le camarade Béavogui, ne laissons plus les bruits qui courent en disant que nous ne nous entendons pas.
Parce que nous avons entendu ce bruit, et vraiment ça nous faisait … c’était ridicule pour nous. Parce que s’entendre ou ne pas s’entendre, l’essentiel était de sortir une décision. Elle était sortie. Donc, nous avons dit donnons maintenant à cette décision sa valeur législative, pleine et entière en convoquant maintenant toutes les institutions réunies, ce qui est prévue dans la constitution. Et si les institutions approuvent la désignation du camarade Lansana Béavogui, donc les institutions sont en mesure de dire nous allons maintenant proclamer Lansana Béavogui Président de la République et cela jusqu’aux élections et à d’autres ambitions…voilà ce qui a motivé notre prise de décision.
Commission d’enquête : (…) cette déclaration … il y en a qui n’étaient pas d’accord. {Discussion entre les membres de la commission} … contrepropositions …des gens qui étaient d’accord avec vous quand vous êtes en réunion mais quand vous sortez des réunions, qui entretenaient d’autres démarche …on pensait que Secrétaire général du parti, Président de la République, chef de gouvernement, c’était un peu une concentration, une forme de concentration du pouvoir dans les mains d’un seul homme…
Moussa Diakité : Mais voilà ce qui s’est vraiment passé en ce qui concerne ce problème de décentralisation. Lorsqu’on a investi le camarade Béavogui comme chef de gouvernement intérimaire, nous avons dit que nous ne désignons pas de Premier ministre, vaut mieux supprimer le poste. Nous supprimons le poste et en ce moment-là, nous nous trouvons dans la même situation qu’au Sénégal, que le Cameroun. On a dit un régime bicéphale en Afrique ne se juge pas. Voilà l’argument qui a été avancé. Mais d’autres, peut-être, sous-estimaient le Président élu en disant qu’il n’avait pas évidemment toute l’énergie, et toute la compétence et l’expérience. Par conséquent, il était bon de lui trouver quelqu’un qui l’assisterait. Evidemment, il faut faire la part des choses, il y avait la presse, il y avait la radio Paris qui disait beaucoup de choses de chacun de nous. On disait même que j’étais candidat. Je l’ai lu dans le journal (…)
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