Marie Madeleine Dioubaté: " je n'irai pas à des élections communales et communautaires si les dés sont déjà joués..."
Propos recueillis par Mamadou Saliou Diallo
Elle est deçue, frustrée, selon ses propres termes. Marie Madeleine Dioubaté est également remontée contre ce qu'elle considère comme une prise en otage de la démocratie guinéenne par Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo.
Dans une interview exclusive, la présidente du Parti des Ecologistes de Guinée est revenue sur la vie de son parti, ses projets pour la Guinée... Mais aussi et surtout des espoirs déçus de l'administration Condé et la décision du RPG et de l'UFDG de nommer les chefs de quartiers et de districts. Telle une lionne blessée, Marie Madeleine Dioubaté dit toutes ses " vérités" dans cette interview...
Nouvelledeguinee.com: bonjour madame. On ne vous entend plus. Qu'est ce qui explique votre silence?
Marie Madeleine Dioubaté: je ne suis pas du tout silencieuse. J'étais à Conakry en décembre et j'ai participé à pas mal d'interviews. Que ce soit à la télévision ou à la radio, je me suis manifestée. Mais,bon, là , sur le contexte socio-politique du pays, ça ne m’intéresse pas du tout. Ça ne m’intéresse pas de participer à ce qui se dit aujourd'hui. Je préfère qu'on trouve des solutions aujourd'hui pour faire sortir notre pays de la pauvreté. Donc, participer aux débats politiques pour ne rien ajouter, je pense qu'aujourd'hui, il faut trouver des solutions.
Nouvelledeguinee.com: comment se porte votre parti?
Marie Madeleine Dioubaté: pour l'instant, mon parti ne travaille pas beaucoup. Tout le monde veut que j'intervienne politiquement dans l'arène.J'ai souvent mes jeunes militants qui m'appellent et me demandent: madame, quand est ce que vous venez? Est ce qu'on va participer à des élections? Est ce qu'on va faire ceci? Est ce qu'on va faire cela? Alors, je dis à tous ces jeunes que je veux faire de la politique autrement que celle qui est faite aujour'hui où on fait sortir des jeunes pour manifester dans les rues, pour casser... Je leur dis toujours que je suis absolument contre ce genre de choses. Donc, aujourd'hui, au niveau de mon parti, je veux qu'on fasse de la pédagogie, qu'on montre qu'on est capable de réaliser des projets. D'ailleurs, aujourd'hui, je travaille sur des projets. Mais, pour certains projets, nous avons besoin de l'appui de l'Etat. Je pense, par exemple, à des projets dans l'agro-industrie où on a besoin d'avoir l'appui de l'Etat puisque, si on négocie par exemple des terres, avec par exemple des coopératives ou avec le monde paysan, il faut qu'il y'ait, au milieu, un arbitre. Et cet arbitre, c'est nécessairement l'Etat ( ... ) Là par exemple, j'ai des solutions. Je souhaite travailler avec des coopératives. Toutes les sociétés vont passer des contrats avec les coopératives. Et ce sont ces coopératives qui disposent de la terre. Ces coopératives vont cultiver pour les sociétés qui vont ensuite les transformer. Voilà un exemple concret. Mais,on ne peut pas faire ça seul. On a besoin de l'appui de l'Etat parce qu'il faut que l'Etat aussi s'engage dans ce genre de projets (...) Aujourd'hui, je propose aux gens qu'on travaille et qu'on laisse un peu la politique de côté. La politique, c'est l'apanage des riches. Il faut d'abord sortir de la pauvreté, il faut mettre en place des systèmes qui permettent de créer de l'emploi, qui permettent de créer de la richesse, qui va nous permettre d'éduquer nos enfants. Qu'est ce qu'on veut faire aujourd'hui pour réaménager les écoles? Qu'est ce qu'on a comme programme pour faire face, par exemple, aux déficits des enseignants. Ce sont de ces choses concrètes là que je veux parler. Comment établir la carte sanitaire de la Guinée? Comment faire pour que les gens mangent? Comment éviter l'hémorragie des jeunes qui veulent partir de la Guinée pour l'Europe(... ) Il ne faut pas que tous les cerveaux fuient notre pays parce qu'en fait ils se sentent abandonnés. Aujourd'hui, je pense que tous les leaders politiques doivent s'associer pour trouver des solutions concrètes. Les élections, c'est pour plus-tard.
Nouvelledeguinee.com, madame, concrètement, quelles sont les solutions que vous proposez pour lutter contre le départ massif de jeunes Guinéens vers l'Europe?
Marie Madeleine Dioubaté: il faut qu'on ait des politiques qui attirent des investissements, qui attirent des capitaux pour pouvoir créer des emplois dans notre pays de façon à ce que les jeunes restent dans le pays. Les jeunes partent parce qu'il n' y a pas de travail. Aujourd'hui, il faut qu'on arrive à avoir une politique attractive. La politique attractive, c'est quoi? C'est d'abord rétablir véritablement la justice faire en sorte que l'Etat de droit ne soit pas seulement un acte inscrit sur un document. Il faut que l'Etat de droit devienne une réalité dans notre pays. Ça veut dire que si un investisseur ou un Guinéen de la diaspora investit dans son pays, en cas de litige, il faut que le droit lui donne raison. Il ne faut pas qu'une personne soit lésée. C'est ce qui arrive malheureusement souvent. Nous devons mettre en place aussi un nouveau régime fiscal pour attirer les investissements dans notre pays (...) Il faut attirer ces investissements en leur donnant des surfaces, des terrains où ils pourront bâtir des sièges sociaux. Je préconise aussi des exonérations au niveau de la douane pour que les gens puissent faire venir les machines et travailler (...) Nous avons tous les jours des grèves. Ça donne une mauvaise image du pays. Quand le pays a une mauvaise image, les gens ne peuvent pas venir. Un investisseur cherche la sécurité, il cherche la stabilité. Quelque soit le pays, un investisseur ne fait pas de politique. Ce qu'il cherche avant tout, c'est la stabilité. Si tous les jours on organise des marches, quand les gens tapent sur Internet, ils regardent la Guinée, ils voient que c'est un pays où il y'a tout le temps des problèmes où on ne sait pas si le pays est une poudrière. Les investisseurs évitent d'aller dans une région où il y'a tout le temps des problèmes. Ça aussi c'est quelque chose qu'il faut que les gens comprennent (...) Il faut travailler. Il faut avoir de l'imagination (... ) Les Guinéens ont de la terre et ils ne veulent pas travailler. Les gens pensent que le jour où ils vont venir en Europe, ils vont gagner de l'argent. C'est archi-faux. C'est faux. Les gens souffrent en Europe. Ils galèrent ici. Il faut que les gens acceptent de travailler. Les jeunes peuvent se lancer dans l'agriculture. L'agriculture, c'est l'avenir du monde. Je ne veux plus des histoires politico-politiciennes. Je veux qu'on discute des choses concrètes. Par exemple, comment mettre en place des complexes agro-industrielles, comment construire des routes. On n' a pas de routes chez nous. Tout le monde veut du goudrons. Si vous allez en Italie, ou à Paris, dans le 1 er arrondissement, les routes sont faites de pavés. Ce sont des blocs de granites qu'on a taillé en carreau ou en rectangle et qu'on a mis sur la route. Notre pays est plein de granites. Pourquoi, on ne prend pas ce granite pour faire nos routes? A Rome ou en Tunisie, ils ont des routes de plus de 1000 ans. Des routes faites avec du granit. Quand on est pauvre, il faut avoir des idées. Les gens ne vont pas venir nous aider à nous développer. Il faut que les Guinéens comprennent que le développement vient d'eux. Ça ne viendra pas de quelqu'un. Ça ne viendra ni de la Banque Mondiale ni du FMI.
Nouvelledeguinee: votre parti est il intéressé par les élections locales et communautaires en perspective en Guinée?
Marie Madeleine Dioubaté: Non! Je vais vous dire pourquoi. Quand deux partis décident qu'on va nommer des chefs de quartiers, ce n'est pas la peine de participer à des élections comme ça. L'élection, c'est quoi? C'est l'expression d'un peuple. Je suis tellement déçue par ces histoires de démocratie. La démocratie, c'est un bien joli mot, mais ça n'existe pas. Même en Europe. Aujourd'hui,ce n'est pas vraiment la démocratie qui fonctionne. Je ne vais pas participer à un semblant de démocratie en allant à des élections communales ou communautaires si les dés sont déjà joués.
Nouvelledeguinee.com: près de deux ans depuis le début du second mandat de Alpha Condé, quelle lecture faites-vous de la situation socio-économique en Guinée?
Marie Madeleine Dioubaté: la situation, elle est difficile. Elle est difficile pour tous les Guinéens.Elle est difficile pour l'Etat. Quand on est dans l'opposition, on pense que c'est facile de diriger un Etat. C'est très facile d'être dans une opposition pour critiquer. Et finalement, quand vous-même, on vous met, vous voyez que ce n'est pas du tout facile. Parce que, quand vous prenez la tête d'un Etat, vous ne connaissez pas le passif... Ce que vous allez trouver. Vous ne savez pas si vous allez trouver des caisses pleines, des caisses vides. Parfois, on ne se rend pas compte de la grandeur de la catastrophe. On met des technocrates dans le gouvernement alors qu'ils ne connaissent pas comment fonctionne le pays. Ils ne savent pas comment l'administration marche (...)
Dans le domaine de l'agriculture, on ne peut pas cultiver si on n'a pas de données dans le domaine du climat. En Guinée, on ne peut pas vous donner la pluviométrie. On a coupé tous les arbres. Les données d'il ya 20 ans ne sont pas les données aujourd'hui. On ne peut pas vous donner la situation d'une localité par rapport au niveau de la mer. On ne peut pas vous donner la nature des sols. Comment voulez-vous qu'on fasse bien l'agriculture dans ces conditions? Ça veut dire qu'on fait les choses au hasard. Aujourd'hui, vous ne pourrez rien avoir en Guinée sans argent. Rien. Absolument rien. Malheureusement, certaines habitudes n'ont pas été changées. Tout le monde avait beaucoup d'espoir avec l'élection de Alpha Condé. On pensait que ce genre de comportement allait changer. Pour l'instant, ça n'a pas changé. C'est toujours les mêmes problèmes ou pire peut être. On s'attendait à un changement radical, à une rupture par rapport à la corruption, par rapport aux mauvaises pratiques. Et ça, ça n'a pas été fait. Son mandat n'est pas fini. On va attendre de voir.
Nouvelledeguinee.com: quel regard portez-vous sur la non application des accords politiques du 12 octobre dernier?
Marie Madeleine Dioubaté: c'est de la parlotte. Les mêmes gens qui ont signé ces accords sont prêtes aujourd'hui à aller à des élections communales et communautaires en éliminant les petits partis en disant qu'on va nommer les chefs de quartiers et les chefs de districts. Ce ne sont pas des démocrates.
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